Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/43

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impassible ; il a fait ce qu’il a voulu ; que le Ciel, l’enfer et le monde le jugent comme ils l’entendront, sa fierté ne connaît pas le remords ; la foudre a pu le tuer, mais non le faire repentir.

Par sa mélancolie sereine, sa tranquillité lumineuse et son kief oriental, la pièce intitulée la Vie antérieure contraste heureusement avec les sombres peintures du monstrueux Paris moderne et montre que l’artiste a, sur sa palette, à côté des noirs, des bitumes, des momies, des terres d’Ombre et de Sienne, toute une gamme de nuances fraîches, légères, transparentes, délicatement rosées, idéalement bleues comme les lointains de Breughel de Paradis, propres à rendre les paysages élyséens et les mirages du rêve.

Il convient de citer comme note particulière du poëte le sentiment de l’artificiel. Par ce mot, il faut entendre une création due tout entière à l’Art et d’où la Nature est complétement absente. Dans un article fait du vivant même de Baudelaire, nous avions signalé cette tendance bizarre dont la pièce qui a pour titre Rêve parisien est un exemple frappant. Voici les lignes qui essayaient de rendre ce cauchemar splendide et sombre, digne des gravures à la manière noire de Martynn : « Figurez-vous un paysage extra-naturel, ou plutôt une perspective faite avec du métal, du marbre et de l’eau et d’où le végétal est banni comme irrégulier. Tout est rigide, poli, miroitant sous un ciel sans soleil, sans lune et sans étoiles. Au milieu d’un silence d’éternité montent, éclairés d’un feu personnel, des palais, des colonnades, des tours, des escaliers, des châteaux d’eau d’où tombent, comme des rideaux de cristal, des cascades pesantes. Des eaux bleues s’encadrent comme l’acier des miroirs antiques dans des quais et des bassins d’or bruni, ou coulent silencieusement sous des ponts de pierres précieuses. Le rayon cristal-