Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/42

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dont la moindre infraction est punie par les plus rudes châtiments, non-seulement dans ce monde, mais encore dans l’autre. S’il a peint le vice et montré Satan avec toutes ses pompes, c’est sans nulle complaisance assurément. Il a même une préoccupation assez singulière du diable comme tentateur et dont il voit partout la griffe, comme s’il ne suffisait pas à l’homme, pour le pousser au péché, à l’infamie et au crime, de sa perversité native. La faute chez Baudelaire est toujours suivie de remords, d’angoisses, de dégoût, de désespoirs, et se punit par elle-même, ce qui est le pire supplice. Mais en voilà assez sur ce sujet. Nous faisons de la critique et non de la théologie.

Signalons, parmi les pièces qui composent les Fleurs du mal, quelques-unes des plus remarquables, entre autres celle qui a pour titre Don Juan aux enfers. C’est un tableau d’une grandeur tragique et peint d’une couleur sobre et magistrale sur la flamme sombre des voûtes infernales.

La barque funèbre glisse sur l’eau noire, emmenant don Juan et son cortége de victimes ou d’insultés. Le mendiant auquel il a voulu faire renier Dieu, gueux athlétique, fier sous ses guenilles comme Antisthène, manie les rames à la place du vieux Caron. À la poupe, un homme de pierre, fantôme décoloré, au geste roide et sculptural, tient le gouvernail. Le vieux don Luis montre du doigt ses cheveux blancs raillés par son fils hypocritement impie. Sganarelle demande le payement de ses gages à son maître désormais insolvable. Doña Elvire tâche de ramener l’ancien sourire de l’amant sur les lèvres de l’époux dédaigneux, et les pâles amoureuses mises à mal, abandonnées, trahies, foulées aux pieds comme des fleurs de la veille, lui découvrent la blessure toujours saignante de leur cœur. Sous ce concert de pleurs, de gémissements et de malédictions, don Juan reste