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et de perdre sur le chemin de plus en plus désert de la vie un compagnon de sa jeunesse.

Outre les Fleurs du mal, les traductions d’Edgar Poe, les Paradis artificiels, des salons ou des articles de critique, Charles Baudelaire laisse un livre de petits poëmes en prose insérés à diverses époques dans des journaux et des revues qui bientôt se lassaient de ces délicats chefs-d’œuvre sans intérêt pour les vulgaires lecteurs et forçaient le poëte, dont le noble entêtement ne se prêtait à aucune concession, d’aller porter la série suivante à un papier plus hasardeux ou plus littéraire. C’est la première fois que ces pièces, éparpillées un peu partout et presque introuvables, sont réunies en un volume qui ne sera pas le moindre titre du poëte auprès de la postérité.

Dans une courte préface adressée à Arsène Houssaye, qui précède les Petits Poëmes en prose, Baudelaire raconte comment l’idée d’employer cette forme hybride, flottant entre le vers et la prose, lui est venue.

« J’ai une petite confession à vous faire. C’est en feuilletant, pour la vingtième fois au moins, le fameux Gaspard de la Nuit d’Aloysius Bertrand (un livre connu de vous, de moi et de quelques-uns de mes amis n’a-t-il pas tous les droits à être appelé fameux ?) que l’idée m’est venue de tenter quelque chose d’analogue et d’appliquer à la description de la vie moderne ou plutôt d’une vie moderne et plus abstraite le procédé qu’il avait appliqué à la peinture de la vie ancienne, si étrangement pittoresque.

« Quel est celui de nous qui n’a pas, dans ses jours d’ambition, rêvé le miracle d’une prose poétique, musicale, sans rhythme et sans rime, assez souple et assez heurtée pour s’adapter aux mouvements lyriques de l’âme, aux ondulations de la rêverie, aux soubresauts de la conscience ? »