Page:Baudelaire Les Fleurs du Mal.djvu/77

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mouvements les plus secrets de l’âme, aux mélancolies capricieuses, au spleen halluciné des névroses que cette forme s’applique avec bonheur. L’auteur des Fleurs du mal en a tiré des effets merveilleux et l’on est parfois surpris que la langue arrive, tantôt à travers la gaze transparente du rêve, tantôt avec la brusque netteté d’un de ces rayons de soleil qui, dans les trouées bleues du lointain, détachent une tour en ruine, un bouquet d’arbres, une cime de montagne, à faire voir des objets qui semblent se refuser à toute description, et qui, jusqu’à présent, n’avaient pas été réduits par le verbe. Ce sera là une des gloires, sinon la plus grande de Baudelaire, d’avoir fait entrer dans les possibilités du style des séries de choses, de sensations et d’effets innomés par Adam, le grand nomenclateur. Un littérateur ne saurait ambitionner un plus beau titre, et celui-là, l’écrivain qui a fait les Petits Poëmes en prose le mérite sans conteste.

Il est bien difficile, à moins de disposer d’un grand espace, et alors il vaudrait mieux envoyer le lecteur aux pièces elles-mêmes, de donner une idée juste de ces compositions : tableaux, médaillons, bas-reliefs, statuettes, émaux, pastels, camées qui se suivent, mais un peu comme les vertèbres dans l’épine dorsale d’un serpent. On peut enlever quelques uns des anneaux et les morceaux se rejoignent toujours vivants, ayant chacun leur âme particulière et se tordant convulsivement vers un idéal inaccessible.

Devant clore cette notice déjà trop longue le plus brièvement possible, car nous chasserions de son volume l’auteur et l’ami dont nous expliquons le talent, et le commentaire étoufferait l’œuvre, il faut nous borner à citer les titres de quelques-uns de ces petits poëmes en prose, bien supérieurs selon nous, par l’intensité, la concentration, la profondeur et la grâce, aux fantaisies mignonnes de Gaspard de la Nuit