Page:Baudry - Rue Principale 1 les Lortie, 1940.djvu/137

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
135
LES LORTIE

diriger les regards du peuple vers une arène politique où les jouteurs paraissaient d’égale force.

Il faut ajouter que Gaston, avec son accent, sa faconde et cette science du public qu’il avait acquise au cours de sa carrière théâtrale, avait introduit, dans la politique municipale, un élément qui en était absent depuis longtemps : le pittoresque. Ses assemblées n’étaient pas seulement intéressantes, elles étaient drôles. Tout en disant aux électeurs des choses sérieuses et sensées, le restaurateur avait l’air de leur raconter des histoires : et le moins qu’on puisse dire de ses discours, c’est qu’ils ne manquaient ni de piquant ni d’esprit.

Blanchard, par contre, était un de ces vieux renards de la politique, un de ces jouteurs rompus à toutes les feintes, dont les attaques étaient rarement maladroites. On l’avait vu, poussé au pied du mur par une assemblée hostile, se rétracter, se contredire avec tant de virtuosité, que ceux qui l’écoutaient étaient sortis persuadés que c’était lui qui les avait fait changer d’avis.

Le jour du scrutin approchait. Gaston et ses amis d’une part, Blanchard et les siens de l’autre, redoublaient d’ardeur et poussaient de plus en plus activement leur propagande. Chose curieuse, les pronostics se faisaient à la fois plus rares et plus timides. Même les vieux stratèges de la politique municipale n’osaient se prononcer, et les paris étaient rares.

Mais il restait quand même, de par la ville, des gens que ce conflit électoral ne touchait ni de près ni de loin. Marcel et Fernande, qu’on ne voyait plus maintenant l’un sans l’autre, étaient de ceux-là : tout comme cette brave Cunégonde, qui se laissait ingénument faire la cour par monsieur Jules Lanctôt.