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RUE PRINCIPALE

bien Cunégonde que ça me fait de la peine de vous écrire ça. J’espère que vous ne m’en voudrez pas trop et je signe,

Celui qui a le cœur brisé,
Votre Jules.

— Pauvre Cunégonde, dit Ninette d’un air compatissant qui cachait une furieuse envie de rire.

— Surtout, plaignez-moi pas, Ninette ! Ça ne se passera pas de même, c’est moi qui vous le dis !

— Qu’est-ce que vous allez faire ?

— Ce que je vais faire ? Vous me demandez ce que je vais faire ! Eh ben, c’est bien simple, ma chère Ninette, je m’en vas le faire mettre en prison moi ce gars-là.

— En prison ?

— Certain ! Vous le savez pas vous, mais il me doit au-delà de sept cents piastres, cet animal-là.

— Sept cents !

— Oui certain ! Ça a commencé par cent piastres pour aider un de ses amis qui était mal pris, puis quatre cents pour acheter son char, puis cinquante, puis vingt-cinq, puis une autre fois quarante, puis une autre fois soixante-quinze, puis des petits chèques que je lui ai changés et qui sont revenus pas de fonds, puis mes assurances, puis…

— Sept cents dollars, Cunégonde ! Comment avez-vous pu vous laisser soutirer une somme pareille ?

— J’en sais rien, ma pauvre Ninette. Ça s’explique pas une affaire pareille. Chaque fois qu’il m’arrachait de l’argent, je me disais que c’était la dernière : puis la fois suivante, j’étais pas capable de rien lui refuser. Je suppose que c’est ça qu’on appelle l’amour.

— Quelles sont vos intentions maintenant ?