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LES LORTIE

ment comique. Gaston Lecrevier disait qu’elle avait une nature de fantaisiste de café-concert.

Tout en comptant sa monnaie, elle surveillait, du coin de l’œil, ce brave Louis qui frottait sa barre de cuivre. De Louis nous ne dirons qu’une chose, c’est que le courage et lui n’avaient jamais passé par la même porte.

— Je ne pense pas qu’il y ait grand danger que vous vous fassiez mal à frotter, hein Louis ?

— Ben, mam’zelle Cunégonde, je vois pas bien pourquoi ça serait nécessaire de se faire mal. Pourvu que ça reluise, c’est tout ce qu’il faut, pas vrai ?

— Je ne dis pas non, Louis, seulement il me semble que ça fait un bon bout de temps que vous frottez à la même place là, bout de peanut !

Bout de peanut ! Voilà bien un petit juron innocent, bilingue et rebelle à l’analyse ! D’où il venait ? Cunégonde elle-même, qui l’employait cent fois par jour pour traduire les impressions les plus diverses, n’aurait certes pu le dire. Peut-être l’avait-elle imaginé un jour que, mangeant des arachides, elle en avait avalé de travers un morceau.

C’était vrai que Louis frottait depuis longtemps la même surface. En entendant Cunégonde le lui reprocher, il haussa les épaules et, de sa voix traînarde, répliqua avec simplicité :

— Je suis pas pressé.

— Oh ! ça non ! Pour être pressé vous ne l’êtes pas, certain ! Le jour où vous le serez, le Saint-Laurent ne gèlera probablement plus en hiver !

— Tiens ! reprit philosophiquement Louis, je veux faire un beau vieux, moi ! Je veux pas m’user avant le temps !