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VII

de grands stratèges ébauchent un plan de campagne… électorale

Il était près de neuf heures du soir. Dans la boutique à façade blanche, à l’enseigne — Grande boulangerie moderne. Phil. Girard, prop., deux hommes jouaient aux dames : le boulanger lui-même et le boucher, son compère. Assis, l’un sur une chaise et l’autre sur une caisse, le damier tenu en équilibre sur leurs quatre genoux, Girard et Mathieu se faisaient une lutte bien inégale. Depuis que, d’un doigt négligent, il avait poussé un pion, Mathieu avait bourré sa pipe sans hâte, l’avait allumée et avait répandu autour de lui un formidable nuage bleuâtre. Girard, immobile comme le Sphynx, semblait hypnotisé par la position précaire de ses pions.

— Ben quoi, Phil, dit Mathieu, penses-tu que tu vas vivre assez vieux pour jouer ? C’est à toi, tu sais.

— Ben oui, ben oui, je le sais bien, farine d’avoine, que c’est à moi, mais… mais…

— Mais quoi ? Dis-moi pas que t’attends que les Japonais et les Chinois aient fini de se chicaner !

— C’est ben serieux de ce que t’es bavard, toi !

— Bavard, bavard, il y a toujours ben un bout ! Ça fait quasiment dix minutes que j’attends là !

— Est-ce que je te dis quelque chose quand tu prends ton temps ? C’est comme ça que tu gagnes,