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LES LORTIE

toi ! Tu me laisses pas tranquille une minute. T’as le tour de me mettre sur les nerfs, puis je sais plus ce que je fais !

— C’est bon, batêche ! je dirai plus rien. Mais essaie donc de te décider !

— Correct ! correct !

Mathieu haussa les épaules, tira son canif de sa poche, l’ouvrit posément et se mit en devoir de faire la toilette de ses ongles. Pendant ce temps. Girard rongeait les siens.

— C’est ben serieux, dit-il, mais si je joue là, tu m’en prends un, puis deux, puis trois, puis tu vas à dame. C’est bon à rien !

— Joue ailleurs, laissa tomber Mathieu avec un ton de méprisante supériorité.

— Puis si je joue là, c’est encore pire ! Tu m’en manges rien que deux, mais je suis obligé de t’en manger un, puis après tu m’en manges un, deux, trois, quatre et tu vas encore à dame !

— C’est ben simple, joue pas là.

Girard hésita quelques secondes. Soudain, les rides qui plissaient son front disparurent, un sourire fit place à la moue de désespoir qui lui déformait la bouche depuis un quart d’heure, et il s’écria :

— Ben oui, gâteau aux amendes ! Ben sûr ! Comment est-ce que j’ai pu faire pour pas voir ça plus tôt ?

D’un geste précis il avança un pion.

— Tu as joué ? demanda Mathieu. Tu es bien sûr que tu as joué ?

— Bien sûr que j’ai joué !

— Mon pauvre Phil, va ! Un, deux, trois.

Et l’énoncé de chaque chiffre s’accompagnait du claquement sonore du pion envahisseur rentrant en contact avec le damier, après avoir bondi