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mêlée on voit que la renommée de Maurice Scève avait été de beaucoup augmentée par la couronne de laurier que Renée de France avait envoyée au jeune poète lyonnais. Une année auparavant Marot ne le connaissait pas même de nom ; maintenant il parle de lui dans l’Épître de Frippelippes comme d’une autorité dont on aurait à craindre le jugement.

Je ne voy point qu’un sainct Gelais,
Un Héroët, un Rabelais,
Un Brodeau, un Scève, un Chappuy
Voysent écrire contre luy. (contre Marot)

Sagon le respecte aussi et se garde bien de s’attirer un tel ennemi, ce qui prouve que la renommée de Scève n’était plus locale à cette époque, mais qu’elle s’étendait jusqu’au nord de la France, jusqu’à Rouen :

Je ne veux pas rabaisser les crédits
Des excellents par loi nommez et dits,
De Saint Gelais, Héroët, Chappuis, Scève ;
Ces quatre ici ne sont fols étourdis
Comme ton maître obstinés et médits
Dont en esprit le mien en douleur grève[1]

Les défenses de Marot avaient paru toutes deux à Lyon : Bonaventure Destériers et Charles Fontaine avaient pris la plume pour défendre leur maître absent contre les furieuses attaques de Sagon. Lyon parait avoir été à cette époque la forteresse de Marot contre les assauts du nord de la France, l’égide de la littérature nouvelle, d’allures un peu hérétiques, contre les vieux rhétoriqueurs pédants et scolastiques.

Mais bien que les vers de Frippelippes aient l’air d’être une exhortation de Marot à Scève de l’assister dans le combat, celui-ci observe cette sage réserve qui est une des qualités principales de son caractère. Il ne prend point parti dans cette lutte qui ressemble plus à un échange d’injures qu’à une querelle littéraire.

Cette même année 1536, François Ier se trouvait être dans des circonstances politiques telles qu’il n’avait rien à craindre ni de la cour papale ni de Charles-Quint, et il relâcha par conséquent la bride aux évangéliques. Clément Marot reçut la permission de rentrer en France, à la condition cependant de faire amende honorable et d’abjurer publiquement toute hérésie. Pour blesser le pauvre poète au vif, on résolut de donner ce spectacle à ses amis lyonnais, et de réjouir par ce triomphe le cardinal de Tournon, le plus cruel et implacable persécuteur d’hé-

  1. Le Rabais du Caquet de Frippelippes cité par Bonnefon. Rev. h. 1. I p. 131.