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allégorie fastidieuse et sentimentale : le dauphin François est identifié avec le dauphin qui a sauvé Arion, c’est à dire le poète lui-même. Après la mort de son bienfaiteur, il ne reste au pauvre Arion-Scève qu’à célébrer la mort de celui-ci dans des vers plaintifs.

Étant couché à l’envers sous un palmier au bord de la mer, il chante ces siens extrêmes vers aux tritons, aux sirènes et à d’autres demi-dieux :

Allez, espoir et désirs trop usez,
Allez, de nous jusque ci abusez
Dont maints doux ans ont été dérivés :
Vuidez d’ici, puis que sommes privés
De nostre attente et longue affection.

Il continue en chantant, toujours sous forme allégorique, les exploits de la première jeunesse du dauphin : c’est le même dauphin qui a retiré Arion de l’océan et qui est allé en otage pour son père en Espagne. Nous apprenons qu’Arion n’a pas été ingrat envers le dauphin ; il l’a délivré des mains de ses ennemis, en leur cédant la plus grande partie de son trésor. Nouvelle incohérence : Arion n’est pas seulement l’allégorie du poète ou des poètes français réunis qui chantent leur protecteur ; il représente ici tout le peuple de France. Le dauphin retourne de sa prison

Accompagné de maints divers poissons
Qui autour luy gettent maint joyeux sons
De leurs clairons, trompettes et buccines.
Tant que les bois et les rochers voisines (sic !)
De leurs doulx chants partout retentissoient[1]
Et près et loing haultement remplissoient
De l’haulte mer les grands undes salées,
Plaines, marests et umbreuses vallées.
Vous, dieux marins, sortistes des abymes.
Et vous, ô mons, elevastes vos cymes
Ou il venoit couronné comme Roy.
      Sus son chef crespe avoit une couronne
D’olive verde, et la roide colonne
De Fortitude en sa senestre main.
Puis nous monstroit par un soubris humain
Celle qu’estoit presqu’au monde expirée,
La riche paix, de tous tant désirée.
Que lors sa dextre élevée portoit
Et par laquelle il nous reconfortoit…

Les vers suivants abandonnent pour un moment l’allégorie pour exprimer la joie du peuple au recouvrement de la paix et

  1. Dans l’original : retondissoient.