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au retour des enfants de France. Le poète est le plus heureux de tous ceux qui participent à ces fêtes[1].

Mais cette joie universelle ne va pas durer longtemps ; Atropos va ravir de son dard (sic) l’infortuné dauphin. Arion tonne alors des imprécations contre Montecucculi qui nous apparaît — un coucou ne pouvant pas bien tuer un dauphin — sous la forme d’un crocodile, allégorie qui repose sur un calembour piètre[2].

O Cocodrille, ancien ennemi
De mon jadis tant cher tenu ami,
Qui t’esmouvoit sans aucune achoison
Commettre en lui si grande traïson.
D’empoisonner les eaux où il nageoit
Quand pour le chaud las il se soulageoit ?
................

Tout ce qui suit n’est plus qu’une litanie de plaintes. Voici d’abord une apostrophe à la lyre du poète, mais qui s’adresse plutôt à celle d’Orphée qu’à celle d’Arion ; un moment même il semble que l’églogue marine aille se changer en églogue champêtre. À la fin de la pièce, Arion s’adresse de nouveau aux demi-dieux qui forment son auditoire, les priant de le laisser seul avec sa douleur.

Donc pour plorer une si grande perte
J’abiterai ceste terre déserte
Où ce mien corps de peu à peu mourra.
Et avec moi seulement demourra
Pour compaignon sur ceste triste rive
Un doux languir jusqu’à la mort tardive.

Ce dernier vers nous paraît avoir l’étrange charme mélodieux, d’une sentimentalité un peu maladive et artificielle qu’on retrouve quelquefois dans la Délie. La poésie est signée de la devise de Scève : Sovffrir • Se • Ovffrir, la même qui se trouve dans La déplourable Fin de Flamete.

Personne ne voudra prétendre que ce soit un chef-d’œuvre ; les fautes en sont trop apparentes. On sent le ridicule forcé de

  1. Ce retour des enfants de France fut fêté avec magnificence à Lyon. Cf. un article de la Revue du Lyonnais (1838, t. IL p. 113) qui se rapporte à une plaquette très rare : D’une réjouissance publique faite à Lyon quand la nouvelle fut apportée de la reddition des deux fils du roy, qui avoient esté ostagiers pour le roy leur père en Espagne.
  2. Le poète se base sur la fable de l’inimitié entre le dauphin et le crocodile, racontée par Pline (livre VIII, chap. 25). Dans la Délie on retrouve encore des monstruosités semblables qui datent de la même époque de la vie de Scève, par ex. dizain ai : Le Cerf (maison de Bourbon) volant aux abois de l’Autruche (maison d’Autriche).