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il remplit ses fonctions de médecin à l’hôtel-Dieu de Lyon avec si peu de zèle qu’on se voit forcé de le congédier. Ou bien a-t-il dû s’enfuir en toute hâte devant un danger que nous ne connaissons point, mais qui s’expliquerait par les persécutions des hérétiques qui redoublaient à cette époque ? Il lui est né, pendant son séjour à Lyon, un fils naturel — Théodule Rabelais — qui ne vécut que deux ans mais que son père reconnut en lui donnant son nom et en le présentant à ses amis, à Boissonné par exemple.

Toute la correspondance poétique de ces poètes latins nous prouve que Maurice Scève joue un rôle aussi important dans cette période du développement de la littérature locale que son cousin Guillaume. Comment faut-il expliquer le grand nombre de louanges souvent excessives qu’il a reçues dans ce temps ? S’est-il assuré la gratitude des littérateurs en vrai Mécène, en leur prodiguant ses richesses ? Ou bien a-t-il mérité leurs compliments par ses connaissances et son talent poétique ? et ne faut-il pas se méfier de ces compliments d’humanistes qui sentent toujours un peu la rhétorique ? Ces deux raisons ne s’excluent pas ; il est bien naturel qu’un Mécène instruit secoure surtout les arts qu’il exerce lui-même, et il n’est pas moins naturel qu’un poète riche et savant aime à se montrer généreux envers des confrères moins favorisés par le destin.

La plupart de ces panégyriques s’adressent au poète français en Maurice Scève, à l’auteur couronné des Blasons du Sourcil, de la Larme et de la Gorge. Il est célébré pour des poésies érotiques, on l’exhorte à publier les vers français dans lesquels il a chanté une Délie. Il ne faut pas se représenter les humanistes lyonnais comme très exclusifs dans leur admiration de l’antiquité ; ils aiment aussi presque tous la littérature en langue vulgaire et ne méprisent pas ceux qui ne savent pas tourner d’élégants vers latins. Clément Marot n’est pas encore décrié comme auteur ignorant et barbare ainsi qu’il le sera aux jours de la Pléïade et d’Étienne Pasquier ; non seulement on le loue, mais on le traduit en latin[1]. Mellin de Saint-Gelais est fêté comme un ami par ces humanistes[2]. Rabelais est admiré pour ses romans populaires, et aussi pour le haut vol de sa philosophie[3] et son vaste savoir en matière juridique. Il y avait dans cette société lyonnaise tous les germes d’une littérature française plus élevée que ne Tétait l’école de Marot, plus conforme à l’idéal de la Renais-

  1. Bourbon. Nugae. éd. B&le 1540. p. 96, 305, 308, 364, 494.
  2. Revue d’hist. litt. IV. p. 407.
  3. Revue d’hist. litt. IV. p. 315.