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sance, mais différentes causes ont empêché ce mouvement lyonnais d’aboutir à une révolution littéraire telle qu’elle a été accomplie dix ans plus tard par la Défense et Illustration de la Langue française.

L’année 1538 marque l’apogée de l’école poétique des humanistes de Lyon. C’est à ce moment que Ducher publie ses Épigrammes, Visagier ses deux livres d’Inscriptions, Bourbon la deuxième édition des Nugae, Dolet ses Carmina. Mais la même année signale aussi le commencement du déclin de cette poésie latine. En voici les causes principales : Tous ces humanistes lyonnais avaient été très favorables à la réforme religieuse. Ils n’étaient pas calvinistes ; l’intransigeance des doctrines du réformateur de Genève devait rebuter ces hommes paisibles qui avaient grandi au milieu des sérénités de la littérature antique et de la philosophie platonicienne. Bien que Calvin ait passé par Lyon en 1535, il ne fit pas de prosélytes parmi les savants de la ville ; la communauté protestante se composait uniquement d’artisans et de petits négociants.

Nos humanistes s’en tinrent aux premières tentatives osées par des hommes tels que Lefèvre d’Étaples. D’après lui on les appelle quelquefois des fabriciens ; Rabelais les nomme les évangéliques. L’essence de leurs idées réformatrices est Christus ex fontibus praedicare ; ils veulent observer pour les livres de l’Évangile les mêmes pratiques qu’ils ont l’habitude de suivre pour les éditions critiques d’auteurs classiques, remonter aux sources et éloigner tout ce que le moyen-âge ignare y a ajouté de faux. On ne veut pas un fanatisme nouveau : on rêve d’une réforme paisible, s’il est possible sans sortir du sein de l’église catholique. La douceur et la tolérance, sentiments vraiment évangéliques, sont les sentiments prépondérants de ces hommes. Ils ne se sentent pas, au moins pour la plupart, la vocation de martyre ; rappelons à ce sujet les noms de Boissonné et de Rabelais.

Inutile de répéter ici les noms de tous les adhérents de cette nouvelle conception du christianisme. Mais nous trouvons parmi eux presque tous les humanistes français et presque tous les personnages les plus sympathiques de cette époque, Lefèvre d’Etaples, Berquin, Briçonnet, Sadolet, Marot, Rabelais, Marguerite de Navarre avec toute sa cour littéraire : voilà les correligionnaires les plus en vue de nos humanistes lyonnais. Ceux-ci ne font point de polémique, il est vrai ; ils ne font pas non plus de prédications au peuple, jugeant peut-être que la liberté évangélique est seulement pour des hommes délivrés par la science, ou obéissant peut-être à des raisons de prudence. Mais dans leurs poésies, ils ne se lassent pas de répéter le nom de Jésus-Christ,