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ARISTOTE.

ajouter très-peu de foi a la tradition qui court, qu’il apprit beaucoup de choses d’un Juif, et encore moins au conte de sa prétendue conversion au judaïsme (B). Ceux qui prétendent qu’il était juif lui-même se trompent beaucoup plus grossièrement (C). La mauvaise ponctuation d’un passage a été cause de leur bévue[1]. On s’est trompé, quand on a dit qu’il avait été disciple de Socrate trois années consécutives (D) ; car lorsqu’il naquit, il y avait douze ou quinze ans que Socrate n’était plus au monde. On parle diversement de la conduite d’Aristote envers Platon son maître (E) : les uns veulent que, par une vanité et une ingratitude prodigieuse, il ait élevé autel contre autel, il ait dressé une école dans Athènes, pendant la vie de Platon, afin de lui causer du chagrin ; d’autres disent qu’il ne s’érigea en professeur qu’après la mort de son maître. On débita des choses désavantageuses touchant ses amours (F) : on prétendit qu’il y eut de l’idolâtrie dans sa passion conjugale, et que s’il ne se fût retiré d’Athènes, le procès d’irréligion que les prêtres lui avaient fait (G) aurait pu avoir les mêmes suites que celui de Socrate. Quoiqu’on ait pu lui donner très-justement des éloges magnifiques, il est certain que la plupart des mensonges ou des erreurs qui le concernent doivent être cherchés dans les louanges dont on l’a comblé ; car, par exemple, n’est-ce pas mentir que de dire, que si dans sa Physique Aristote a parlé en homme, dans sa Morale il a parlé en dieu[2] ; et qu’il y a sujet de douter si dans ses Morales il tient plus du jurisconsulte que du prêtre, plus du prêtre que du prophète, plus du prophète que de Dieu[3] ? Je rapporterai dans les remarques quelques éloges encore plus forts que ceux-là (H). Le cardinal Pallavicin ne fait point difficulté d’avouer en quelque façon que, sans Aristote, l’église aurait manqué de quelques-uns de ses articles de foi (I). Les chrétiens ne sont pas les seuls qui aient autorisé sa philosophie : les mahométans ne s’en sont guère moins entêtés[4] ; et l’on débite, qu’encore aujourd’hui, malgré l’ignorance qu’ils laissent régner parmi eux, ils ont des écoles pour cette secte (K). Ce sera un sujet éternel d’étonnement pour les personnes qui savent bien ce que c’est que philosophie, que de voir que l’autorité d’Aristote a été tellement respectée dans les écoles pendant quelques siècles, que lorsqu’un disputant citait un passage de ce philosophe, celui qui soutenait la thèse n’osait point dire, transeat ; il fallait qu’il niât le passage, ou qu’il l’expliquât à sa manière (L). C’est ainsi qu’on en use dans les écoles de théologie, à l’égard de l’Écriture Sainte. Les parlemens, qui ont proscrit toute autre philosophie que celle d’Aristote[5],

  1. Voyez la remarque (C).
  2. Le père Pardies dans la Lettre d’un philosophe à un cartésien, dit que c’est le sentiment d’un bel-esprit, et il cite en marge Cornel à Lapide, praefat. in Eccles.
  3. C’est le sentiment d’un autre bel esprit, selon le père Pardies, là même.
  4. Voyez le père Rapin, Compar. de Platon et d’Aristote, pag. 403.
  5. Voyez la remarque (I), à la fin.