Page:Bayle - Dictionnaire historique, Beuchot, 1820, volume 2.djvu/371

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
361
ARISTOTE.

assez obscurs, cette accusation contre Aristote ; et puis vous verrez qu’Aristoclès, ayant réfuté plusieurs autres accusations, abandonne la cause par rapport à l’ingratitude de ce disciple (37). Le père Rapin s’est donc bien trompé (38) quand il a dit qu’Eusèbe le justifie entièrement de ce reproche (39). Je ne sais pourquoi ce-même jésuite a joint à Eusèbe, comme deux apologistes diflérens, Ammonius et Philoponus ; car la Vie d’Aristote qu’il cite ne vaut qu’un auteur : c’est Ammonius, selon quelques-uns, c’est Philoponus, selon quelques autres.

(F) On débita des choses désavantageuses touchant ses amours.] Il y a ici une complication d’ordures. Les médisans débitèrent qu’Aristote se retira chez Hermias, qui commandait dans Atarne, petite ville de Mysie, proche l’Hellespont ; qu’Hermias,eut pour lui des complaisances très-criminelles : On oi men fasi paidika genesqai autou (40). Quem alii quidem delicias ac lusus ipsius fuisse tradunt ; qu’il lui fit épouser sa fille, ou sa nièce ; que le voyant amoureux de sa concubine, il la lui céda (41) ; qu’Aristote fut si follement amoureux de cette femme, que, l’ayant épousée, il lui offrit un sacrifice tout semblable à celui que les Athéniens offraient à Cérès : il témoigna d’ailleurs sa reconnaissance à Hermias par un hymne qu’il composa en son honneur. Sans que j’en avertisse mes lecteurs, ils verront bien que toutes ces médisances ne venaient pas d’une même plume : les uns débitaient celtes-ci, les autres débitaient celles-la. Un des apologistes d’Aristote a observé qu’on ne s’accordait pas à lui intenter les mémes accusations : chaque censeur venait avec ses satires particulières (42). C’est une marque, dira-t-on, qu’ils

(37) Eusebii Praeparat. Evangel., lib. XV, cap. II.

(38) Rapin, dans sa Comparaison de Platon et d’Aristote, pag. 305.

(39) Ce ne serait pas Eusèbe qui le justifierait ; ce serait Aristoclès. Mais ni l’un ni l’autre ne le justifient.

(40) Diog. Laërtius, in Vitâ Aristot., lib. V, num. 3.

(41) Aristippus, in primo de Antiquis Deliciis libro, apud Laërtium in Vitâ Aristot., lib. V, num. 3.

(42) Aristocles. apud Eusebium, Praeparat. lib. XV, cap. II.

n’agissaient pas de concert : ajoutons que c’est une marque qu’on n’avait de bonnes preuves de rien ; car lorsqu’une accusation grave a été prouvée, tous ceux qui écrivent contre l’accusé la lui reprochent éternellement ; Le même apologiste remarque qu’il se formait un si grand nombre de crimes de toutes les accusations particulières qu’on avait écrites contre Aristote, que, quand il n’y en aurait eu qu’une de véritable, il aurait été puni mille fois par les juges qui vivaient alors. Entre autres choses, ses ennemis publièrent qu’il avait trahi sa patrie, et que l’on avait intercepté des lettres qu’il écrivait contre les intérêts des Athéniens (43). Pour revenir à la femme d’Aristote, quelques-uns dirent que ce fut après sa mort que son mari lui offrit les sacrifices que les Athéniens offraient à Cérès : Fhsi quein Arizotelh qusian teteleuthknia th gunaiki toi authn opoian Aqhaioi th Dhmtri (44). Scribit (Lycon Pythagoraeus ) Aristotelem idem sacrificii genus quod Cerefi ab Atheniensibus fiebat, demortuae uxori facere solitum. La réponse d’Aristoclès est, 1°. que les livres d’Apellicon, touchant le commerce d’Hermias et d’Aristote, justifiaient pleinement ces deux amis ; 2+. qu’Aristote lui-même s’était justifié entiérement sur son mariage avec Pithias, dans les lettres qu’il avait écrites à Antipater. Cette Pythias était la sœur d’Hermias, et sa fille d’adoption. Aristote faisait voir qu’il ne l’avait épousée- gu’-après la mort d’Hermias ; que c’était une fort honnéte femme, mais réduite à un si fâcheux état, depuis la mort de son frère, que lui Aristote s’était cru obligé de l’épouser en considération d’Hermias.

(G) Les prêtres d’Athènes lui firent un procês d’irréligion.]. On ignore les circonstances de cette affaire. Diogcne Laërce s’est contenté de nous dire (45) que le prêtre Eurymédon accusa Aristote d’impiété, à cause de l’hymne composé pour Hermias, et à cause d’une inscription gravée sur la statue du même Hermias au temple de Delphes. Phavorin attribuait

(43) Aristocles, ibid., p. 792.

(44) Idem, ibid., p. 792.

(45) In vitâ Aristotelis, lib. V, num. 5.