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ANNAT.

fonction de censeur général des livres que la société publiait, et la fonction de théologien auprès du général de la compagnie. Étant retourné en sa province, il fut recteur du collége de Montpellier, et puis de celui de Toulouse. Il assista à la huitième congrégation générale des jésuites qui se tint à Rome l’an 1645 : il y assista, dis-je, comme député de sa province, et il y donna tant de preuves de mérite, que le père Vincent Carafa, général des jésuites, ne trouva personne plus propre que lui à remplir la charge d’assistant de France, qui vint à vaquer au bout de dix-huit mois. La neuvième congrégation générale lui redonna le même emploi auprès de François Picolomini, général de la compagnie, après la mort duquel on le fit provincial de la province de France. Pendant qu’il exerçait cette dignité, il fut choisi pour confesseur de Louis XIV ; et ayant occupé ce poste pendant seize ans, il fut contraint de demander sa démission, à cause que le grand âge lui avait extrêmement affaibli l’ouïe. Comme le roi était fort content de lui, il ne lui accorda son congé qu’avec beaucoup de regret. Le père Annat ne vécut que quatre mois depuis sa sortie de la cour. Il mourut dans la maison professe de Paris le 14 de juin 1670. Le père Sotuel, dont j’emprunte ce qu’on vient de lire, lui attribue de grandes vertus, un parfait désintéressement, beaucoup de modestie et d’humilité, un attachement exact aux observances et à la discipline de son ordre, un grand soin de ne point se servir de son crédit pour son utilité particulière, ni pour l’avancement de sa famille, et un grand zèle de religion [a]. Il fut le marteau des hérésies, dit-il [b] ; et il attaqua nommément avec une ardeur incroyable la nouvelle hérésie des jansénistes : il travailla puissamment à la faire condamner par le pape, et à la tenir en bride sous l’autorité du roi très-chrétien ; outre qu’il la réfuta par sa plume, avec tant de force, que ses adversaires n’ont pu lui répliquer rien de solide. Il y a un très-grand nombre de gens, à qui le père Sotuel ne persuadera jamais ce dernier point ; mais, pour ce qui regarde le désintéressement du père Annat, il n’aura pas beaucoup de peine à planter la foi ; car tous ceux qui ont voulu s’en informer ont pu apprendre que ce père confesseur n’avança point sa famille. On prétend avoir ouï dire au roi, qu’il ne savait point si le père Annat avait des parens [c]. Il en avait, qui ne s’oublièrent pas, et qui le furent trouver au Louvre ; mais ils ne remportèrent aucun bénéfice. Il y a des temps, où le grand et le petit népotisme sont à la mode ; quelquefois le petit népotisme règne, pendant que le grand est aboli. Au temps du père Annat, le grand népotisme [d] était à son

  1. Sotuel, Biblioth. Scriptorum Societ. Jesu, pag. 211.
  2. Hæresium malleus, et nominatim novæ jansenistarum hæresis oppugnator acerrimus. Ibidem.
  3. Adeò ut dixisse aliquandò perhibeatur sua majestas nescire se an pater Annatus haberet aliquos sanguine sibi conjunctos. Ibidem.
  4. C’est celui de la cour de Rome.