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ANNAT.

comble ; mais le petit népotisme, quant à la branche des pères confesseurs, était à Paris au plus bas degré. Je me sers de restriction, parce qu’il y a beaucoup d’autres gens constitués dans les dignités ecclésiastiques, qui ne cessent d’accumuler sur la tête de leurs parens tout ce qu’ils peuvent obtenir. Plusieurs d’entre eux sans doute allaient leur train ordinaire, pendant que le père Annat ne souffrait point autour de lui les loups béans venus du Rouergue. On a pu lire dans les Amours du Palais-Royal, qu’il voulut se défaire de sa charge (A), lors de la grande faveur de mademoiselle de la Valière. Si cela était vrai, ce serait le plus bel endroit de sa vie, et le plus beau sujet d’éloge que l’on puisse trouver dans la vie d’un confesseur de monarque. L’auteur de cette satire, qui, selon l’esprit et la nature de ces sortes d’ouvrages, cherchait à donner un tour malin à toutes choses, a bien vu cela ; c’est pourquoi il a fait en sorte que son lecteur n’y trouvât rien de louable. Il a couru une satire beaucoup plus moderne, où l’on a joint à la demande vraie ou fausse de congé tant de faussetés de notoriété publique (B), qu’on ne peut comprendre qu’il y ait des gens au monde qui veuillent mentir publiquement avec si peu d’industrie. Le père Annat a fait un fort grand nombre de livres (C), les uns en latin, et les autres en français. Les latins sont beaucoup meilleurs que les autres, parce qu’il avait acquis plus d’habitude de traiter une matière de théologie selon la méthode dogmatique et polémique des écoles, que de la tourner selon le génie du siècle. Néanmoins on loue beaucoup, dans une réponse aux Provinciales, ce qu’il a écrit en notre langue [a].

Ce que j’ai dit en général des neveux de ce père confesseur ne doit point être un préjugé contre leur mérite ; car l’un d’eux, qui est général des pères de la doctrine chrétienne, passe pour un homme très-savant, et il a publié en latin un ouvrage qui est fort estimé. C’est un Apparat méthodique pour la théologie positive [b]. Vous en trouverez l’extrait dans le Journal des Savans du 13 de septembre 1700.

  1. Voyez la remarque (C), à la fin.
  2. Nouvelles de la république des lettres. Avril 1700, pag. 477.

(A) On a dit dans les Amours du Palais-Royal [1] qu’il voulut se défaire de sa charge. ] Voici le passage : « Le pauvre père Annat, confesseur du roi, soufflé par les reines, l’alla aussi trouver, et feignit de vouloir quitter la cour, faisant entendre finement que c’était à cause de son commerce. Le roi, en riant, lui accorda tout franc son congé. Le père, se voyant pris, voulut raccommoder l’affaire ; mais le roi, en riant toujours, lui dit qu’il ne voulait désormais que de son curé. L’on ne peut dire le mal que tout son ordre lui voulut d’avoir été si peu habile. » On me pourrait demander sur cela trois choses : 1°. S’il est vrai que le père Annat ait demandé permission de se retirer ; 2°. si ce fut par feinte et par complaisance pour les reines ; 3°. s’il se retira en effet, ou si les jésuites eurent l’adresse de raccommoder les choses. Je ne puis répondre à la première question, si ce n’est que je n’en sais rien, et que l’autorité d’un homme qui écrit une satire ne me paraît d’aucun poids ; je n’ajoute foi à ce qu’il avance qu’à proportion

  1. Ce livre commença de paraître environ l’an 1665.