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ARAMONT.

pour répondre à la plainte de Charles-Quint, que d’Aramont et les Français avaient contribué à la prise de Tripoli [1]. ] Le grand-maître de Malte accusait notre Aramont d’avoir poussé le gouverneur de Tripoli à capituler. M. de Thou, réfutant cette accusation, expose que le connétable de Montmorenci, qui était alors le tout-puissant, avait chargé cet ambassadeur de témoigner au grand-maître l’attachement particulier qu’il avait lui connétable aux intérêts et à la prospérité de l’ordre. Cet historien ajoute qu’il a vu des lettres où le connétable témoignait beaucoup de chagrin de la prise de Tripoli, et que ces lettres ne doivent point être suspectes de quelque dissimulation, puisqu’elles furent écrites à une personne à laquelle le connétable disait fort librement ses pensées [2]. Mais lorsque Henri II eut su que les partisans de l’empereur accusaient l’ambassadeur de France d’avoir contribué à cette conquête des Ottomans, il dépêcha un gentilhomme au grand-maître, pour se plaindre des bruits qu’on faisait courir, et pour lui demander comment Aramont s’était conduit dans cette affaire. Il déclara qu’il le ferait châtier selon l’exigence du cas, s’il le trouvait coupable de quelque faute ; mais qu’il souhaitait que si son ambassadeur était innocent, le grand-maître en voulût rendre un témoignage public. La réponse du grand-maître disculpa pleinement Gabriel d’Aramont : Quo in negotio nullum officium prætermisisset ut ordini eâ in re nostro gratificaretur, hoc enim à V. M. enixè ac religiosè sibi injunctum. Prætereà ut quorum culpa ea clades accepta esset certò cunctis constaret undiquè probationes collegimus, et inquisitione diligenti super eâ re habitâ nihil comperimus quo Aramontium cladi causam dedisse, aut deditionis auctorem fuisse credi debeat. Quinimò ex equitibus captivis... didicimus eum non solùm omni culpâ vacare, sel multis benefactis totum ordinem sibi devinxisse, ac proindè non rectè nec secundùm rationem factum existimamus, ut is rumor sparsus sit [3]. Le roi de France ne manqua pas de produire cette réponse dans toutes les cours de l’Europe, afin de montrer que ses ennemis débitaient à tort et à travers sans fondement tout ce qui pouvait le rendre odieux : Eas literas... posteà rex per oratores suos passìm publicari jussit, quà publicatione compressis Cæsarianorum querelis ac rumoribus, evulgata in gallici nominis invidiam fuma pariter conquievit [4]. Cela pouvait bien persuader que les partisans de Charles-Quint s’étaient trompés en cette rencontre ; mais ceux qui n’aimaient pas la France les excusaient facilement. On s’imagine sans peine, quand cela s’accommode avec nos inclinations, qu’il est permis d’interpréter toutes choses d’un certain sens, selon le système qui a été une fois bâti sur des raisons très-probables. C’est à la vérité une source inépuisable de faux jugemens ; mais pourvu qu’ils soient utiles, on ne s’en met pas trop en peine.

(B) On se servit des lettres interceptées d’Aramont, pour reprocher aux Français leurs intelligences avec les Turcs. ] Charles-Quint, dans une lettre qu’il écrivit l’année 1552 aux princes et aux états de l’Empire, s’étonne que l’ambassadeur de France eût cru avoir justifié son maître par rapport aux liaisons avec Soliman : « N’ai-je pas, dit-il, les Mémoires d’Aramont dresse à Constantinople, qui font foi de l’alliance ménagée contre un prince chrétien entre la Porte et la France ? » Jam quod de communicatis cum Turco consiliis obiter perstringit, quasi abundè purgatum existimet, quâ fronte excusare potest ? atqui penes me habeo Aramontii Gallici legati commentarios Byzantii scriptos, et ad regem per Costam centurionem quemdam missos, qui societatis cum Turcis in Christiani nominis principem initæ plenam fidem faciunt [5]. M. Varillas observe que le pape et l’empereur faisaient déjà leur compte d’accuser le roi de France, en plein concile, d’une intelligence avec les infidèles, et de produire sur ce sujet des lettres d’Aramont interceptées, auxquelles il était aisé de donner

  1. Varillas, Histoire de Henri II, liv. II, pag. 198 et suiv. à l’an 1551. Voyez aussi M. de Thou, liv. VII, pag. 155.
  2. À Brissac, qui commandait en Piémont.
  3. Thuan., lib. VII, sub fin.
  4. Idem, ibid.
  5. Idem, lib. X, pag. 233.