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ARCHÉLAÜS.

l’histoire des anciens philosophes ; et par conséquent, que ce silence n’ôte pas le droit de supposer ce que je suppose ; 2°. qu’Anaxagoras ayant été plus illustre que Diogène, et ayant eu un disciple qui continua la succession ; ayant même, comme il est assez vraisemblable, survécu à Diogène ; c’est par lui, plutôt que par ce dernier, que l’on a marqué les successions de la secte d’Ionie. Il y a beaucoup d’apparence que Sidonius Apollinaris associe ces deux disciples d’Anaximènes, comme deux collègues qui furent l’appui de cette école :

Quartus Anaxagoras Thaletica dogmata servat :
Sed divinum animum sentit, qui fecerit orbem.
Junior huic junctus residet collega, sed idem
Materiam cunctis creaturis aëra credens
Judicat indè Deum, faceret quo cuncta [1], tulisse [2].

Voici d’autres conjectures. Nos plus savans humanistes [3] prennent pour le fondement le plus assuré de l’âge d’Anaxagoras ce que Diogène Laërce rapporte qu’au temps de l’expédition de Xerxès, ce philosophe avait vingt ans. C’est de là qu’ils prennent droit d’inférer que, puisqu’il vécut soixante-douze ans, il mourut dans la 88e. olympiade. Je ne veux rien contester là-dessus ; mais j’ai à faire des difficultés contre ce que dit le même Laërce, qu’Anaxagoras fit le voyage d’Athènes à l’âge de vingt ans, et qu’il séjourna trente années dans cette ville. Il me paraît peu vraisemblable qu’il ait choisi pour ce voyage le temps de l’expédition de Xerxès, sous laquelle les Asiatiques ne doutaient pas que la république d’Athènes ne fût écrasée. N’insistons point sur cela : passons à d’autres instances beaucoup plus fortes. Si Diogène Laërce a raison, il faut dire qu’Anaxagoras ne demeura dans Athènes que jusqu’à la deuxième année de la 82e. olympiade ; car l’expédition de Xerxès tomba sur les derniers mois de la 74e. olympiade, et sur les premiers de l’olympiade 73 ; mais Diodore de Sicile n’assure-t-il pas que ce philosophe fut accusé d’impiété à Athènes, l’an deux de la 87e. olympiade [4] ? Il ruine donc le narré de Diogène Laërce : ce n’est point sans s’embarrasser d’un autre côté ; car que deviendra ce que l’on rapporte, que Socrate, après la condamnation d’Anaxagoras, devint disciple d’Archélaüs [5] ; que deviendra ce que d’autres ont débité, qu’Euripide quitta l’étude de la physique, et s’attacha au théâtre, à cause du procès d’Anaxagoras [6] ? Socrate, âgé de près de quarante ans lors de ce procès, selon la chronique de Diodore de Sicile, aurait-il eu encore besoin d’étudier sous un autre maître ? et notez que, selon Porphyre, il se rangea auprès du philosophe Archélaüs [7], environ à l’âge de dix-sept ans. Euripide, qui, au temps du même procès, avait plus de cinquante ans, attendit-il jusqu’à ce temps-là à faire des tragédies ? Il usa si peu de ce grand délai, qu’il en fit une à l’âge de dix-huit ans [8]. Pour dissiper un peu ce chaos, et pour trouver quelque méthode de lier ensemble ces narrations, il faut revenir à Diogène Laërce, et abandonner Diodore de Sicile ; car, en supposant qu’Anaxagoras fut accusé dans l’olympiade 82, nous trouverons très-possible ce que l’on prétend que ce procès produisit par rapport à Euripide et à Socrate. Nous pourrons présupposer que ce poëte ayant uni l’étude de la physique avec la composition des tragédies, jusqu’au temps qu’il vit le péril d’Anaxagoras, ne s’appliqua plus qu’au théâtre depuis ce temps-là. Mais que ferons-nous d’Eusèbe, qui nous a dit qu’Archélaüs fut successeur d’Anaxagoras dans Lampsaque, avant que de venir philosopher à Athènes ? Cela ne peut être vrai si Anaxagoras a vécu jus-

  1. Cela comparé avec ce que Cicéron, de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XI, et seq., et saint Augustin, de Civit. Dei, lib. VIII, cap. II, disent de Diogène d’Apollonie, fait voir qu’il s’agit ici de ce Diogène.
  2. Sidon. Apollinar, carm. XV, vs. 89.
  3. Scalig., in Euseb., num. 1554, pag. 103 ; Petavius, Rationar. Temporis, part. I, lib. III, cap. VIII, pag. 140 ; Vossius, de Scientiis Mathem., cap. XXXIII, num. 4, pag. 148.
  4. Diod. Siculus, lib. XII, cap. XXXIX, pag. 433.
  5. Diog. Laërtius, lib II, num. 19.
  6. Voyez l’article d’Euripide, au texte.
  7. Voyez la Vie de Socrate, écrite par M. Charpentier, pag. 5.
  8. Aulus Gellius, lib. XV, cap. XX.