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ARCHÉLAÜS.

qu’à l’olympiade 88 : temps où Socrate, plus grand maître encore qu’Archélaüs, n’avait pas besoin de se mettre sous sa discipline. Il faudrait supposer, peut-être, 1°. qu’Archélaüs, ayant étudié quelques années sous Anaxagoras dans Athènes, y prit la place de professeur dès que son maître se fut retiré ; 2°. qu’au bout de quelque temps il fut le rejoindre à Lampsaque, et y fut son successeur, d’où ensuite il retourna à Athènes, et y transplanta tout-à-fait la chaire de Thalès. Peut-être aussi qu’il serait bon de supposer qu’Anaxagoras fut accusé plus d’une fois à Athènes, et que, s’étant retiré en Ionie au temps du premier procès, il fut rappelé au bout de quelques années par Périclès, et accusé tout de nouveau, après un séjour de quelques années. Nous avons vu [1] que certains auteurs ont dit qu’il fut accusé par Thucydide, l’adversaire de Périclès, et condamné à la mort par contumace. Or, depuis le bannissement de ce Thucydide, l’autorité fut entre les mains de Périclès pendant quinze ans [2] : ce qui signifie que Thucydide fut chassé quinze ans avant la mort de Périclès. Il s’ensuivrait de là qu’Anaxagoras aurait été condamné par contumace quinze ou seize ans pour le moins avant que Périclès mourût ; mais, selon Diodore de Sicile [3] et Plutarque [4], il fut accusé un peu avant le commencement de la guerre du Péloponnèse, c’est-à-dire, deux ou trois ans avant la mort de Périclès. On pourrait donc s’imaginer qu’il fut accusé deux fois, et mettre son retour en Ionie, et son second retour à Athènes, dans l’intervalle de ces deux accusations : et, par-là, on résoudrait une assez grande difficulté. Socrate n’a point été l’un des disciples d’Anaxagoras, quoique Diogène Laërce l’assure [5] : je l’ai prouvé [6] par une raison très-forte ; et je puis la confirmer, non-seulement par le silence que Platon et Xénophon gardent là-dessus, lorsque les circonstances du sujet les engageaient à ne se point taire ; mais aussi par le silence des accusateurs de Socrate, et par la réponse que leur fit Socrate. Eussent-ils manqué de lui reprocher qu’il avait été instruit par un philosophe que l’on avait condamné comme un impie ? Cela n’était-il pas propre à le rendre plus suspect ? Eussent-ils oublié cet adminicule ? Se fussent-ils contentés de lui reprocher en général qu’il philosophait comme cet impie ? et s’il l’eût eu pour maître, aurait-il osé répondre ce qu’il répondit [7] ? Concluons qu’il n’a pas été disciple d’Anaxagoras. Mais comment comprendrons-nous qu’il ne le fut point, si nous supposons qu’Anaxagoras ne sortit d’Athènes qu’au temps que Diodore de Sicile et Plutarque ont désigné ? En ce cas-là, Anaxagoras n’eût-il point fleuri dans Athènes lorsque Socrate était le plus en état de le choisir pour son professeur ? et, cela étant, peut-on bien se figurer que Socrate n’alla point aux leçons de ce philosophe ; mais qu’il fut à celles d’Archélaüs ? Est-il probable que celui-ci dressa une école dans Athènes, pendant qu’Anaxagoras florissait dans la même ville, ou que s’il le fit, ses leçons furent préférées par Socrate à celles d’Anaxagoras ? Ce sont des difficultés que l’on peut résoudre, si l’on suppose que ce dernier fut chassé deux fois, et que, dans le temps qui s’écoula entre ces deux condamnations, Archélaüs philosopha dans Athènes.

Il me reste à faire une observation contre Plutarque. Il ne faut pas s’imaginer qu’il ait cru qu’Anaxagoras mourut dans la 88e. olympiade ; car lorsqu’il raconte les prodiges qui précédèrent la défaite des Athéniens, à la rivière de la Chèvre [8], il dit que, selon les prédictions de ce philosophe, il tomba du ciel une grosse pierre. Ce malheur des Athéniens arriva l’an 4 de la 93e. olympiade. Il serait absurde de supposer que Plutarque a prétendu qu’Anaxagoras avait prédit cette chute d’une pierre vingt ans auparavant : il a donc cru que

  1. Ci-dessus, citation (147) de l’article d’Anaxagoras.
  2. Plutarch., in Pericle, pag. 161, E.
  3. Lib. XII, cap. XXXIX, pag. 433.
  4. Plutarch., in Pericle, pag. 169.
  5. Diog. Laërt., in Socrate, lib. II, num. 19 et 45.
  6. Ci-dessus, à la fin de la remarque (R) de l’article d’Anaxagoras.
  7. Voyez la citation (29) de l’article d’Anaxagoras.
  8. Voyez la citation (136) de l’article d’Anaxagoras.