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ARÉTIN.

boles les plus pompeuses, et les flatteries les plus rampantes, dans les lettres qu’il écrivait aux rois et aux princes, aux généraux d’armée, aux cardinaux, et aux autres grands du monde. Tant s’en faut que l’on voie là les airs d’un auteur qui fait craindre, ou qui exige des rançons, que l’on y voit toute la bassesse d’un auteur qui demande très-humblement un morceau de pain. Il se sert d’expressions touchantes pour représenter sa pauvreté : il recourt même au langage de Canaan, je veux dire aux phrases dévotes qui peuvent le mieux exciter la compassion, et animer à la charité les personnes qui attendent de Dieu la récompense de leurs bonnes œuvres. Il ne faut pas oublier que l’un des sujets de ses importunités était la dot de sa chère fille Adria (Q). Il se donna mille peines pour la marier, et il la vit si malheureuse dans cet état, qu’il se repentit de son impatience (R). Fatalité trop ordinaire parmi les hommes ; car combien y a-t-il de choses qui les inquiètent extrêmement lorsqu’elles ne sont point faites, et qui les chagrinent encore plus lorsqu’elles le sont ?

(A) Il n’est pas moins connu sous le titre de Fléau des princes [* 1], que sous le nom... de Pierre Arétin. ] Il se vante d’avoir cette réputation par toute la terre. Lisez la lettre qu’il écrivit à Hersilia del Monte, parente du pape Jules III ; vous y trouverez ceci : In tanto è manifesto, ch’io sono noto al sophi, a gli Indiani, ed il mondo al paro di qualunche hoggi in bocca de la fama risuoni : che piu ? i principi da i populi tributati di continuo, tuttavia me loro schiavo e flagello tributano [1]. Il dit dans une autre lettre, que l’on jurait que les princes lui faisaient tribut, non pas afin qu’il les louât, mais de peur qu’il ne les blâmât ; et il ajoute que c’était bien se tromper, puisque la plupart des grands maîtres ne craignent pas le courroux de Dieu. Redouteraient-ils ma plume ? continue-t-il : Impero che la maggior parte de i gran maestri non temono l’ira di Dio, e temeranno il furore de la mia penna [2] ? Ce raisonnement n’est point bon : la crainte des hommes fait que l’on s’abstient de mille choses, dont on ne s’abstiendrait pas, si l’on ne craignait que la vengeance divine [3].

(B) On lui donne le titre... de divin, il divino Aretino. ] On ne sera pas fâché de voir ici le jugement de Montagne sur cet éloge : Platon, dit-il [4], a emporté ce surnom de Divin, par un consentement universel qu’aucun n’a essayé luy envier ; et les Italiens, qui se vantent et avecques raison d’avoir communément l’esprit plus esveillé et le discours plus sain que les autres nations de leurs temps, en viennent d’estrener l’Arétin, auquel, sauf une façon de parler boufie et bouillonnée de poinctes, ingénieuses à la vérité, mais recherchées de loing et fantasques, et outre l’éloquence enfin telle qu’elle puisse estre, je ne veois pas qu’il y ait rien au dessus des communs auteurs de son siècle ; tant s’en fault qu’il approche de cette divinité ancienne.

(C). Quelques-uns ont dit qu’il faisait les fonctions de Dieu sur la terre par les foudres dont il frappait les têtes les plus éminentes. ] J’ai vu cette pensée dans un auteur italien, cité par un auteur allemand. Cur verò sibi arrogarerit aliorum consensu divinitatem, nescio, nisi fortè Dei munus exercuisse dicendus sit, cùm summa capita velut celsissimos montes fulminaverit, linguâ corrigens et

  1. * Joly remarque que cependant il écrivait avec beaucoup d’humilité à l’empereur, aux rois de France, d’Angleterre, de Hongrie, etc. Bayle le dit plus loin dans le texte
  1. Arétin, au VIe. livre de ses Lettres, fol. 115.
  2. Là même, folio 120, verso.
  3. Voyez les Pensées sur les Comètes, num. 162 et suiv.
  4. Montagne, Essais, liv. I, chap. LI, à la fin.