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ARÉTIN.

nentes (C). Il se vantait que ses libelles faisaient plus de bien au monde, que les sermons (D). On lui écrivait que sa plume lui avait assujetti plus de princes, que les plus grands rois n’en avaient soumis par leurs armes (E), et on l’exhortait à continuer sur ce ton-là, afin que les monarques se corrigeassent (F). Notre siècle a des satiriques aussi envenimés et aussi hardis que l’Arétin l’ait pu être ; cependant je ne crois pas qu’aucun d’eux ait établi ses contributions dans le pays ennemi. Plusieurs écrivains mal informés le font passer pour l’auteur du livre de Tribus impostoribus (G). Je ne saurais croire que l’on ait gravé sur son tombeau, dans l’église de saint Luc à Venise, l’épitaphe rapportée par M. Moréri (H). L’auteur de cette épitaphe outra sans doute la chose. Si l’on avait raison de penser que l’Arétin n’aimait point Dieu, on n’en avait point de dire qu’il ne le connaissait pas : ses ouvrages de piété témoignent manifestement le contraire (I). Je ne crois pas que l’on trouve dans ses écrits aucun dogme d’athéisme ; mais comme plusieurs de ses libelles attaquent violemment les désordres du clergé, et décrivent d’un style profane et de débauche une infinité d’impuretés attribuées à la vie de couvent, il ne faut pas s’étonner qu’on l’ait fait passer pour athée. Joignez à cela, qu’un homme qui aurait eu quelque respect pour la religion, et pour l’honnêteté morale, n’aurait jamais fait des dialogues sur les matières que l’Arétin a choisies, et n’y aurait pas employé un langage si impudent. On voit bien que je parle de ses Ragionamenti (K). Ils furent imprimés pendant sa vie ; mais on a de la peine à déterrer quand ils le furent pour la première fois (L). Nous avons six volumes de ses Lettres, qui ne valent pas grand’chose (M). Ses ouvrages de dévotion n’ont pas eu beaucoup de débit [a] ; et néanmoins ils ont trouvé des approbateurs, qui leur ont donné beaucoup de louanges [b]. Les comédies, qu’il fit en prose, sont beaucoup meilleures dans leur espèce [* 1]. Il mourut environ l’an 1556 [* 2], à l’âge de soixante-cinq ans, plus ou moins (N).

On conte qu’il se mit si fort à rire, entendant des discours sales, qu’il renversa la chaise sur quoi il était assis, et qu’en tombant il se blessa à la tête, et mourut sur l’heure (O). Il se trouva mal d’avoir fait des vers contre Pierre Strozzi ; car ce brave homme le menaça de le faire poignarder jusque dans le lit : ce qui étonna tellement ce poëte, qu’il n’osait laisser entrer personne dans sa maison, et qu’il n’eut pas le courage de sortir, pendant que Strozzi séjourna dans les états de Venise. Je citerai mon auteur (P). Notez que ce poëte si satirique prodiguait les louanges avec les derniers excès. Nous trouvons les hyper-

  1. * Ces comédies, dit Joly, sont au nombre de cinq, savoir : il Marescalco, la Cortigiana, l’Ippocrito, il Filosofo, la Tolanta. On a aussi d’Arétin une tragédie intitulée l’Orazia, 1546, petit in-8o. pièce rare et peu connue, dont Ginguéné parle avec éloge dans son Histoire de la littérature italienne, tom. VI, pag. 129 et suiv.
  2. * Joly dit 1557, à soixante-cinq ans.
  1. Voyez la remarque (I).
  2. Ibid.