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ARIOSTA.

άρματι ; ce que son traducteur latin devait rendre par curru, et non pas par cursu, comme Barthius l’a remarqué [1]. Quant à ce distique de Properce, qui nous donne Arion comme un animal parlant :

Qualis et Adrasii fuerit vocalis Arion,
Tristis ad Archemori funera victor equus [2],


je ne crois pas qu’il lui attribue la tristesse que Passerat s’imagine : je crois que le mot tristis se rapporte à l’accident funeste d’Archémore, pour lequel ces jeux étaient célébrés : et non pas au dépit qu’Arion conçut en sentant qu’un autre qu’Adraste se servait de lui [3].

  1. Barth., in Stat., tom. III, pag. 537.
  2. Propert. Elegiâ ult., lib. II.
  3. Voyez les Nouvelles de la République des lettres, juillet 1702, pag. 110.

ARIOSTA (Lippa), concubine d’Opizzon, marquis d’Est et de Ferrare, fortifia de telle sorte par sa fidélité, et par son habileté politique, les impressions que sa beauté avait faites sur le cœur de ce marquis, qu’il la reconnut enfin pour sa femme légitime, l’an 1352. Il mourut la même année, et lui laissa l’administration de ses états, dont elle s’acquitta très-bien, pendant la minorité de ses onze enfans. D’elle est issue toute la maison d’Est, qui subsiste encore en la branche des ducs de Modène et de Rhège [a]. L’auteur, dont j’emprunte ceci, observe que Lippa Ariosta rendit plus d’honneur à sa famille, qui est des plus nobles de Ferrare,... qu’elle ne lui en avait ôté (A). On trouvera quelques réflexions là-dessus dans la remarque que je joins à cet article.

  1. Le Laboureur, Relation du Voyage de Pologne, part. III, pag. 172.

(A) Elle rendu plus d’honneur à sa famille,... qu’elle ne lui en avait ôté. ] J’ai parlé ailleurs [1] de l’efficace singulière du mariage. On ne la saurait assez admirer ; car enfin, elle fait changer de nature les trois espèces de temps : le passé ne relève pas moins de ses influences que le présent et que l’avenir. « N’admirez vous pas quelle force à l’usage, et quelle autorité dans le monde ? Avec trois mots, qu’un homme dit, Ego conjungo vos, il fait coucher un garçon avec une fille, à la vue et du consentement de tout le monde ; et cela s’appelle un sacrement administré par une personne sacrée. La même action, sans ces trois mots, est un crime énorme, qui déshonore une pauvre femme ; et celui qui a conduit l’affaire s’appelle, ne vous déplaise, un m...... Le père et la mere, dans la première affaire, se réjouissent, dansent, et mènent eux-mêmes leur fille au lit ; et dans la seconde, ils sont au désespoir, ils la font raser, et ils la mettent dans un couvent. Il faut avouer que les lois sont bien plaisantes [2]. » Ce n’est point là le merveilleux de l’affaire : la principale singularité consiste dans l’effet rétroactif. Notre Ariosta avait été concubine, ses enfans étaient bâtards ; c’était une tache à son honneur, et à sa maison : mais tout cela fut effacé, lavé, anéanti, par les trois paroles du prêtre, ego conjungo vos. Le marquis de Ferrare, épousant cette maîtresse un peu avant que de partir de ce monde, la convertit en femme d’honneur, et donna la qualité de légitimes à des enfans qui étaient dûment chargés de la qualité contraire. Une semblable métamorphose se voit tous les jours, et il y a eu des gens qui ont prétendu que les enfans mêmes, qui sont nés dans un temps où les pères et mères ne pouvaient point se marier faute de dispense, doivent être légitimés par un subséquent mariage ; mais le parlement de Paris jugea contre cette prétention, l’an 1664 [3]. On demandera peut-être pourquoi ce marquis n’en vint là que l’année de sa mort. Je pourrais

  1. Ci-dessus, dans l’article Ales, remarque (D), immédiatement après la citation (11).
  2. Bussi Rabutin, lettre CXXXVI de la IVe. part., pag. 192, édition de Hollande.
  3. Voyez le Journal des Savans du 12 de janvier 1665, pag. 46.