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ARISTANDRE

répondre qu’un concubinaire, qui se sent proche de sa fin, est beaucoup plus disposé à tenir cette conduite, que s’il espérait de vivre encore longtemps. Les remords de la conscience excités d’eux-mêmes, ou par les discours d’un casuiste, sont plus vifs quand on a peur de mourir : on fait donc moins de difficultés de passer par une cérémonie fâcheuse qui les apaise. Ajoutez à cela, qu’un grand seigneur, sollicité au mariage par une maîtresse dont il jouit, peut s’imaginer qu’elle sera mille fois plus complaisante et plus fidèle pendant qu’elle se flatte de parvenir à la qualité de femme légitime ; et qu’y étant parvenue, elle ferait éclater sa fierté, sa mauvaise humeur, etc. On trouve donc à propos de la tenir en haleine par une simple espérance ; mais si l’on se voit sans espoir de guérison, on renonce à tous ces ménagemens. Quoi qu’il en soit, il se trouve des personnes si sévères, que la conduite de ce marquis de Ferrare, ni celle de ses imitateurs, ne leur plaît point : ils voudraient qu’une fille, ou qu’une femme, qui s’est déshonorée, et qui a long-temps été en scandale à tout un pays, fût toute sa vie sous la flétrissure, et que l’exemple de sa réhabilitation ne pût point servir d’amorce à d’autres filles, et ne leur cachât pas, sous une semblable espérance, l’infamie du concubinage [1].

  1. Voyez ci-dessus, remarque (D) de l’article Ales.

ARISTANDRE, fameux devin sous Alexandre-le-Grand, était d’une ville d’Asie, où presque tout le monde naissait avec des dispositions à prophétiser [a]. Il suivit Alexandre à la conquête de la Perse, et s’acquit un ascendant merveilleux sur l’esprit de ce monarque (A), par le bon succès de son art (B). Il avait déjà eu le même emploi à la cour du roi Philippe, et ce fut lui qui expliqua mieux que ne surent faire ses confrères le songe que ce prince fit après avoir épousé Olympias. Il lui sembla qu’il appliquait sur le ventre de la reine un cachet, où la figure d’un lion était gravée. Les autres devins lui conseillèrent là-dessus de faire observer plus soigneusement la conduite de sa femme (C) ; mais Aristandre soutint que ce songe signifiait que la reine était enceinte d’un fils qui aurait le courage d’un lion [b]. Elle était alors grosse d’Alexandre. Le roi Philippe s’était voulu mêler de l’explication de son songe, et n’y avait rien entendu (D). Quoique Aristandre s’appliquât beaucoup à l’intelligence des songes, et qu’il soit l’un des auteurs qui eût écrit le plus doctement sur cette matière [c], il ne laissa pas d’exercer son art sur toutes sortes de prodiges. Si l’on vient annoncer qu’une statue d’Orphée a sué, il dit que cela présage que les poëtes sueront un jour à chanter les victoires d’Alexandre [d]. Si une hirondelle vient importuner ce prince, et se poser même sur sa tête, Aristandre dit que c’est un signe que l’on conspire contre le roi, mais que la conspiration sera découverte [e]. Si, pendant qu’on se prépare au siége de Tyr, le sang qui sort du pain d’un soldat étonne le roi, Aristandre le rassure : il lui dit que, puisque le sang était sorti des parties intérieures du pain, c’était un

  1. Telmesse. Voyez son article. Plutarque, Arrien, Lucien, Clément d’Alexandrie, et plusieurs autres, remarquent qu’Aristandre était de cette ville.
  2. Plutarchus, in Alexandr. init., pag. 665.
  3. Artemidor., lib. I, cap. XXXIII, pag. 30.
  4. Plutarch., in Alexandro, pag. 671.
  5. Arrian., lib. I, cap. VIII.