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ARISTARQUE.

valeo eloqui. Cela me fait souvenir de cette pensée de Sénèque : « Je n’ai jamais voulu plaire au peuple, car il n’approuve point ce que je sais, et je ne sais point ce qu’il approuve. » Nunquàm volui populo placere, nam quæ egoscio non probat populus, quæ probat populus ego nescio [1].

(G) Il eut beaucoup de contestations dans Pergame, avec le grammairien Cratès [2]. ] Les paroles de Suidas sont expresses là-dessus : Κράτητι τῷ γραμματικῷ Περγαμηνῷ πλεῖςα διημιλλήσατο ἐν Περγάμῳ [3]. Cum Cratete grammatico Pergameno, Pergami sæpissimè contendit. Casaubon, en vertu de ce passage, soutient que l’antagoniste d’Aristarque ne fut pas Cratès Mallotès, mais un autre Cratès natif de Pergame [4]. Comme ce Cratès Mallotès était contemporain d’Aristarque, et fort connu du roi de Pergame, on jugerait aisément que ce fut lui qui disputa en plusieurs rencontres avec Aristarque. C’est pourquoi il est bon de prendre garde que Suidas donne le surnom Pergaménien à l’adversaire d’Aristarque. Peut-être se trompe-t-il, car ceux qui citent Cratès de Pergame nous le font bien moins connaître comme un grammairien, que comme un historien [5], et il est sûr que la grammaire était l’étude principale de Cratès Mallotès. Lisez ce passage : Primus quantum opinamur studium grammaticæ in urbem intulit Crates Mallotes Aristarchi æqualis, qui missus ad senatum ab Attalo rege inter secundum ac tertium bellum Punicum, sub ipsam Ennii mortem, quùm in regione Palatii prolapsus in cloacæ foramen crus fresisset, per omne legationis simul et valetudinis tempus plurimas ἀκροάσεις subindè fecit assiduèque disseruit, ac nostris exemplo fuit ad imitandum [6]. C’est de Cratès Mallotès que l’on entend ordinairement cet endroit de Varron : Crates nobilis grammaticus, qui fretus Chrysippo homine acutissimo, qui reliquit sex libros περὶ τῆς ἀνομαλίας : heis libreis contra analogiam atque Aristarchum est nixus [7]. Si Varron a parlé là de Cratès Mallotès, il est vraisemblable que Suidas a pris l’un pour l’autre ; je veux dire que Cratès Mallotès, et non pas Cratès de Pergame, a été l’émule de notre Aristarque. Je ne sais si jusqu’ici les commentateurs de Suétone se sont jamais avisés de le critiquer sur un point de chronologie dont je m’en vais dire un mot. Il débite que Cratès Mallotès vint à Rome, au nom du roi Attalus, environ le temps qu’Ennius mourut. La mort de ce poëte tombe sur l’an de Rome 585. Or, en ce temps-là, celui qui régnait à Pergame se nommait Eumènes. Il commença de régner l’an 556 de Rome, et il mourut l’an 596, laissant la tutelle de son fils et la régence, à son frère Attale. Si donc Cratès Mallotès fut député aux Romains par cet Attale, l’exactitude chronologique ne souffre point que l’on assure qu’il fit ce voyage environ le temps qu’Ennius mourut. Mais néanmoins Suétone nous fournit de quoi confirmer l’opinion de ceux qui font fleurir Aristarque sous Ptolomée Philometor dans la 156e. olympiade [8]. Eusèbe et Suidas sont de ce nombre.

Vossius n’a point suivi Suétone, car au lieu de dire qu’Aristarque et Cratès Mallotès ont été contemporains, il a dit cela de Cratès Mallotès, et d’Apollodore, disciple d’Aristarque [9]. Je ne prétends point que ce soit une fausseté, car on peut bien être contemporain, et du maître, et du disciple ; mais je remarque par occasion qu’il s’est abusé dans une autre chose : il a cru qu’une pièce de théâtre, qui fut traduite par Ennius, et qui était appelée l’Achille d’Aristarque, ne portait ce nom qu’à cause que ce grand critique l’avait corrigée. Ab hoc et vetus quædam comœdia, quam Ennius posteà transtulit, dicebatur Achilles Aristarchi. Meminit ejus Plautus [10]. At sic non aliâ de

  1. Seneca, Epistolâ XXIX, pag. 219.
  2. Suidas, in Ἀρίςαρχος
  3. Idem, ibid.
  4. Casaubon, in Sueton. de illustr. Gram., cap. II.
  5. Voyez Vossius, de Hist. Græcis, pag. 347.
  6. Sueton., de illustrib. Grammat., cap. II.
  7. Varro, de Linguâ latinâ, lib. VIII, initio. Voyez aussi liv. VII, pag. 97. Voyez dans Vossius, de Hist. Græc., pag. 347, plusieurs autorités qui marquent que Cratès Mallotès était grammairien.
  8. Elle répond à la fin du VIe. siècle de Rome.
  9. Vossius, de Arte grammaticâ, lib. I, cap. VI, pag. 24.
  10. Plaut., in Prologo Pœnuli, vs. 1.