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ANAXAGORAS.

disent aussi. Je ne nie point que Plutarque n’ait parlé de la raison que M. Moréri propose ; mais comme il allègue aussi celle qu’on lit dans Diogène Laërce [1], et qui est plus vraisemblable, il ne fallait point que M. Moréri la supprimât.

3°. Il impute faussement à notre Anaxagoras d’avoir admis des atomes [2]. Cette erreur est d’autant plus lourde qu’il venait de dire qu’Anaxagoras admettait des parties infinies en tous les corps. Voilà deux sentimens qui se détruisent l’un l’autre : car généralement parlant, l’hypothèse des atomes peut bien souffrir qu’il y ait une infinité de corpuscules ; mais elle demande que leur nombre soit fini dans chaque corps, puisque l’une des raisons des atomistes est d’éviter les absurdités de la divisibilité à l’infini, qui suit nécessairement la supposition que chaque corps est composé d’un nombre infini de parties.

4°. Il n’est pas vrai que Lucien feigne que Jupiter écrasa Anaxagoras d’un coup de foudre. Nous verrons ci-dessous [3] les paroles de Lucien.

5°. Je ne sais sur quel fondement M. Moréri raconte qu’Anaxagoras voyagea en Égypte, où il apprit les secrets et les mystères des savans de ce pays. Je ne me souviens point d’avoir lu cela dans aucun ancien auteur ; car je demande qu’il me soit permis à cet égard-là de mettre Théodoret parmi les modernes : Théodoret, dis-je, qui a parlé de ce voyage d’Anaxagoras [4], mais qui se trompe d’ailleurs en faisant ce philosophe contemporain de Pythagoras. Au pis aller, il me restera une matière de censure, puisque Moréri n’a point cité Théodoret, ni aucun auteur qui ait fait mention de ce voyage.

6°. Il croyait que les astres, ce sont les termes de M. Moréri, avaient d’abord eu un mouvement confus, qui s’était enfin réglé. Ce n’était point du tout le sentiment d’Anaxagoras. Voici au contraire ce que Diogène Laërce lui attribue : qu’au commencement les astres se mouvaient de telle manière, que le ciel ayant la forme d’une voûte, le pôle qui ne se couche jamais, était vertical à la terre ; mais qu’ensuite il s’inclina [5]. Ne lui en déplaise, c’était avoir une connaissance bien médiocre de la sphère. C’était ignorer que le pôle boréal, incliné sur l’horizon de l’Ionie et de plusieurs autres pays, est vertical à la terre à l’égard d’un certain endroit tout autant qu’il l’a pû être au commencement. Si l’on a voulu dire que ce pôle, étant autrefois dans le zénith de l’Ionie, avait décliné ensuite vers l’horizon, on s’est très-mal exprimé, et l’on a dû croire que l’Ionie était au commencement une région bien disgraciée et bien malheureuse. Plutarque rapporte ceci un peu autrement. Il dit qu’Anaxagoras croyait que le monde fut composé, et les animaux produits de la terre ; que le monde se pencha de lui-même (ἐκ τοῦ αὐτομάτου), vers le midi, à l’aventure par la divine Providence (ἴσως ὑπὸ προνοίας), afin qu’il y eût des parties habitables, et des parties inhabitables par froid excessif, par embrasement, par température [6].

7°. Il n’est pas vrai que Diogène Laërce fasse mention d’un orateur nommé Anaxagoras, et disciple de Socrate. Il le fait disciple d’Isocrate [7].

8°. Il est encore plus faux que notre Anaxagoras ait enseigné que les parties semblables étaient le premier mobile des choses. Nous verrons dans la remarque suivante que le premier mobile était, selon lui, un esprit distinct des homœoméries. Si M. Moréri avait entendu l’auteur de la vie de ce philosophe, il ne serait pas tombé dans cette bévue : Ἐκ τῶν ὁμοιομερῶν μικρῶν σωμάτων τὸ πᾶν συγκεκρίσθαι· καὶ νοῦν μὲν ἀρχὴν κινήσεως [8]. Ex parvis similium partium corporibus hoc totum esse compositum, mentemque initium esse motus.

9°. M. Moréri n’a pas bien représenté le sens de la première partie de ce grec de Diogène Laërce. Tout ce grand monde, dit-il, est fait de semblables parties, qui font le tout. Je me

  1. Je rapporte les paroles de Plutarque dans la remarque (D), citation (62).
  2. Voyez ci-dessus les vers de Lucrèce, pag. 28, citation (36).
  3. Dans la remarque (K), citation (156).
  4. Theodoret., de Græc. Affect. Serm. II, pag. 489.
  5. Diogen. Laërt., lib. II, num. 9.
  6. Plutarch. de Placit. Philosophor., lib. II, cap. VIII, pag. 887.
  7. Diogen. Laërt., lib. II, num. 15.
  8. Idem, ibid., num. 8.