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ATTICUS.

Athènes, où il séjourna longtemps. Il se fit tellement aimer des Athéniens que le jour qu’il se retira de leur ville fut en quelque manière un jour de deuil (E). Il aimait extrêmement les belles-lettres, et il avait dans son domestique plusieurs libraires [a], et de fort bons lecteurs. Il faisait toujours lire à sa table, lors même qu’il régalait ses amis (F). Il ne se soucia point de s’élever au-dessus de l’état où il était né : c’était celui de chevalier. Il aurait pu parvenir aux grandes charges de la république : mais il aima mieux y renoncer (G), parce que, dans la corruption qui régnait alors, il n’aurait pu ni les obtenir, ni les exercer selon les lois. Il n’eut jamais de procès, et il ne se porta jamais pour accusateur contre personne, et ne fut jamais le second d’un accusateur. L’empereur Auguste fut son allié : voici comment. Atticus avait marié sa fille avec Agrippa. Il vint une fille de ce mariage, laquelle Auguste fiança avec Tibère, presque aussitôt qu’elle fut au monde [b]. Je ne crois pas que la femme d’Atticus ait été de grande naissance . Il doit être compté au nombre des bons auteurs (H). Il parvint à l’âge de soixante-dix-sept ans sans avoir guère éprouvé ce que c’était que maladie. Il avait été des trente ans de suite sans avoir besoin de remèdes. Enfin il tomba malade : sa maladie fut assez légère pendant trois mois, mais après cela les douleurs devinrent extrêmes. Il fit venir Agrippa son gendre, et deux autres personnes, et leur déclara qu’il avait résolu de mettre fin à sa vie en ne mangeant rien : il les pria d’approuver sa résolution, et de ne la point combattre, puisqu’aussi bien toutes leurs exhortations seraient inutiles. Agrippa ne laissa pas d’employer ses larmes et ses prières, pour l’obliger à vouloir vivre, mais ce fut inutilement. Après deux jours d’abstinence, la fièvre cessa, et la maladie fut plus légère ; néanmoins Atticus persista dans son dessein, et mourut trois jours après [c]. Ce fut l’an de Rome 721. Il est tombé de nos jours entre les mains d’un censeur très-dangereux (I) ; mais on ne l’a pas abandonné à la rigueur de cette censure (K). Nous avons quelque chose à corriger dans le Dictionnaire de M. Moréri (L). J’ai oublié de dire qu’Atticus était de la secte d’Épicure [d], et qu’on peut défier les plus ardens défenseurs du dogme qui établit que, sans la crainte d’une providence, il est impossible d’égaler, par rapport aux bonnes mœurs, ceux qui ont reconnu un Jupiter et un Neptune, etc., de montrer un plus honnête homme qu’Atticus parmi les plus grands bigots du paganisme.

(A) Il se conservait l’estime et l’affection des deux partis. ] Il envoya de l’argent au fils de Marius, qui avait été déclaré ennemi de la république,

  1. Voyez ci-dessous la citation (38).
  2. Nata est Attico neptis ex Agrippâ cui virginem filiam collocârat. Hanc Cæsar vix anniculam Tiberio Claudio Neroni Drusillâ nato privigno suo despondit. Cornelius Nepos, in Vitâ Attici, cap. XIX.
  3. Ex Cornelio Nepote, in Vitâ Pomponii Attici.
  4. Voyez la remarque (C), à la fin.