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ATTICUS.

et il s’insinua de telle sorte dans les bonnes grâces de Sylla, que ce général romain le voulait toujours avoir auprès de lui, et ne trouva pas mauvais qu’Atticus se défendît de le suivre à Rome, en alléguant pour ses raisons qu’il voulait garder la neutralité [1]. Noli, oro te, inquit Pomponius, adversùm eos me velle ducere, cum quibus ne contra te arma ferrem, Italiam reliqui [2]. Il se tint coi dans Rome, pendant la guerre de César et de Pompée : cela ne déplut point à Pompée [3], et plut infiniment à César, Après la mort de ce dernier, il envoya de l’argent à Brutus, quand le parti de la liberté commença à n’être pas le plus fort, et il rendit mille bons offices à la femme et aux amis de Marc Antoine, pendant que leur parti semblait perdu sans ressource. Marc Antoine ne fut pas ingrat ; car, encore qu’il étendît sa furieuse haine sur tous les amis de Cicéron, il écrivit de sa propre main à Atticus une lettre très-obligeante [4]. Il travailla dans la suite au mariage de la fille d’Atticus avec Agrippa, favori d’Auguste [5]. Enfin, malgré les cruelles divisions qui s’élevèrent entre Marc Antoine et Auguste, notre Atticus se maintint dans l’amitié de l’un et de l’autre. L’un, [6], quand il était en voyage, lui écrivait exactement ce qu’il faisait, ce qu’il lisait, et où il devait aller ; et, lorsqu’il était à Rome, il lui écrivait presque tous les jours, pour le consulter sur quelque question : l’autre [7] lui rendait un compte exact de ses affaires. Il était sans doute très-difficile de conserver en même temps l’amitié de ces deux antagonistes. Hoc quale sit, faciliùs existimabit is qui judicare poterit, quantæ sit sapientiæ eorum retinere usum benevolentiamque inter quos maximarum rerum non solùm æmulatio, sed obtrectatio tanta intercedebat, quantùm fuit incidere necesse inter Cæsarem atque Antonium, cùm se uterque principem non solùm urbis Romanæ, sed orbis terrarum esse cuperet [8].

(B) Il fut cause que Cicéron et Hortensius...... vécurent dans une bonne intelligence. ] Ceux qui savent combien la jalousie d’éloquence agite et remue les autres passions, ne se feront pas une idée médiocre de l’adresse et du mérite d’un homme qui sut conserver la paix entre les deux plus célèbres orateurs de l’antiquité. Il ne suffisait pas que Pomponius Atticus s’insinuât agréablement dans les esprits ; il fallait de plus que l’on remarquât en lui des qualités qui inspirassent une estime respectueuse. Ce que je m’en vais citer est donc fort propre à marquer le caractère de son mérite. Utebatur intimè Q. Hortensio qui iis temporibus principatum eloquentiæ tenebat, ut intelligi non posset uter eum plus diligeret Cicero an Hortensius, et id quod erat difficillimum, efficiebat ut inter quos tantæ laudis esset æmulatio, nulla intercederet obtrectatio, essetque talium virorum copula [9].

(C) Il ne fut jamais brouillé, ni avec sa mère, ni avec sa sœur. ] À l’âge de soixante-sept ans, il perdit sa mère, qui en avait quatre-vingt-dix ; et il avait alors encore une sœur presque aussi âgée que lui. Ce fut le jour des funérailles de sa mère qu’il déclara qu’il n’avait jamais eu besoin de se réconcilier avec elle, et qu’il n’y avait jamais eu de rupture entre sa sœur et lui. Hoc ipsum verè gloriantem audierim in funere matris suæ, quam extulit annorum nonaginta cum esset septem et sexaginta, se nunquàm cum matre in gratiam rediisse, nunquàm cùm sorore fuisse in simultate quam propè æqualem habebat ; quod est signum aut nullam unquàm inter eos querimoniam intercessisse, aut hunc eâ fuisse in suos indulgentiâ, ut quos amare deberet irasci eis nefas duceret [10]. Je ne touche point cette circonstance du temps, afin de grossir mon livre, et de remplir plus tôt une feuille de papier : chacun voit qu’elle est de l’essence de cette remarque ; car si l’humeur commode d’Atticus se mon-

  1. Cornel. Nepos, in Vitâ Attici, cap. II.
  2. Idem, cap. I.
  3. Idem, cap VII : cependant Cicéron, Epist. VI, lib. XI ad Atticum, témoigne que Pompée aurait fait un mauvais parti à Atticus, s’il eût vaincu.
  4. Idem, capite X.
  5. Idem, capite XII.
  6. Savoir, Auguste. Cornelius Nepos, cap. XX.
  7. Savoir, Marc Antoine. Cornelius Nepos, cap. XX.
  8. Idem, cap. V.
  9. Cornelius Nepos, in Vitâ Attici, cap. V.
  10. Idem, cap. XVII.