des gens dont la faction était opposée
aux intérêts de Périclès. Ce ne fut donc
point par zèle de religion qu’ils persécutèrent
ce philosophe : ce fut dans la
vue de soutenir leur cabale, et d’affaiblir
autorité de Périclès, en faisant
tomber sur lui très-malignement
les soupçons d’irréligion. Ils ne pouvaient
mieux y réussir, qu’en accusant
d’impiété Anaxagoras. C’est presque
toujours le premier mobile de
cette espèce de procès ; on se veut venger
de quelqu’un ou se délivrer de
quelque obstacle d’autorité et de fortune ;
et l’on appelle à son aide les
passions du peuple, par le faux semblant
des intérêts du bon Dieu. 2°. Il
n’est pas vrai que les délateurs d’Anaxagoras
se soient fondés sur ce qu’il
reconnaissait que l’entendement divin
avait fabriqué le monde ; ils se
fondèrent sur ce qu’en disant que le
soleil était une pierre, il le dégradait
de la qualité de dieu. Ce fut aussi le
fondement de l’arrêt de condamnation
[1]. Disons donc que Vossius a fait
une faute dans ces paroles : Laërtii
industria nobis ipsa Anaxagoræ verba
conservavit. Sunt autem hujus modi :
Πάντα Χρήματα ἧν ὁμοῦ· εἶτα νοῦς ἐλθὼν
αὐτὰ διεκόσμησε. Ommia simul erant :
deindè accessit mens, eaque composuit.
Quàm apertè hic opificem ab opificio
distinguit ! Hoc ferre non potuêre Athenienses,
ac ἀθεότητα vel ἀσέϐειαν vocârunt
[2]. On ne condamna point Anaxagoras
précisément à cause de la distinction
qu’il établissait entre Dieu et
les ouvrages de Dieu, mais à cause qu’il
n’enseignait pas comme les poëtes que
le soleil fût tout ensemble l’ouvrage
de Dieu et un dieu ; car, selon la loi
des peuples, puisée dans les écrits des
poëtes, le soleil était Apollon, fils de
Jupiter, et l’une des plus grandes divinités.
La faute de Vossius est toute
semblable à celle que l’on ferait si l’on
accusait l’inquisition d’avoir fait mourir
un homme pour avoir dogmatisé
qu’il n’y a que Dieu, l’auteur, le conservateur,
le souverain maître de toutes
choses, qui mérite le suprême
culte de latrie ; et qu’aucune créature
qui soit dans le paradis, ne mérite
nos invocations et le culte de dulie.
Ce dogme contiendrait deux chefs ;
et ce ne serait que pour le second que
l’on punirait un homme dans Salamanque.
Un protestant ne serait-il pas
mal fondé de dire qu’on aurait puni
cet homme à cause du premier chef ?
Disons néanmoins qu’Eusèbe a raison
de trouver étrange qu’Anaxagoras ait
été presque lapidé comme un athée,
nonobstant son orthodoxie à l’égard
de l’existence d’un Dieu auteur de ce
monde ; dogme qu’il avait enseigné le
premier de tous les Grecs : Θαυμάται
δ᾽ ἐςὶν ὡς οὖτος πρῶτος παρ᾽ Ἕλλησι τοῦτον
θεολογήσας τὸν τρόπον, δόξας Ἀθηναίος
ἄθεος εἷναι, ὅτι μὴ τὸν Ἥλιον ἐθεολόγει,
τὸν δὲ Ἡλίου ποιητὴν, μικροῦ δεῖν καταλευσθεὶς
ἔθανε [3]. In quo sanè permirum
illud est, qui princeps apud
Græcos eam theologiæ rationem intulerat,
cum Atheniensibus, quod non
jam Solem, ac Solis ipsius effectorem
Deum statueret, atheum esse visum,
ac proptereà parùm abfuisse, quin ab
iis lapidibus necaretur. Cela, dis-je,
est digne d’étonnement ; car enfin, et
c’est ma troisième remarque, on a de
la peine à concevoir que dans une ville
aussi savante qu’Athènes, un philosophe
n’ait pu expliquer par des raisons
de physique les propriétés des
astres, sans courir risque de la vie.
N’est-ce pas un sort déplorable que
d’avoir plus de lumières qu’un peuple
superstitieux et conduit par des entêtés ?
À quoi sert cette supériorité
de génie et de connaissances au milieu
de telles gens ? Ne tient-elle point
lieu de crime ? N’expose-t-elle point à
mille diffamations, à mille dangers ?
Ne jouirait-on pas mieux des commodités
de la vie, si l’on était entraîné
par le torrent de l’ignorance et
de la superstition ? Οἱ προγεγραμμένοι
τοῦ Χριςοῦ κατὰ τὸ ἀνθρώπινον λόγῳ πειραθέντες
τὰ πράγματα θεωρῆσαι καὶ ἐλέγξαι,
ὡς ἀσεϐεῖς καὶ περίεργοι εἰς δικαςήρια
ἤχθησαν [4]. Qui ante Christum fuêre
quod ratione pro captu humano innixi
res plerasque contemplari, explorare,
et arguere contenderint, tanquàm impii
et curiosi ad judicum tribunalia
sunt protracti. 4°. Je dis en quatrième
lieu que l’on doit être choqué qu’un
procès aussi remarquable que celui
d’Anaxagoras, où Périclès, le pre-
Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T02.djvu/58
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
48
ANAXAGORAS.