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ANAXAGORAS.

magique [1] ? Un commentateur a fait là-dessus une note bien ridicule : Quant à ce que dit Philostrate, qu’Anaxagoras prédit la pluye, et qu’une pierre tomberoit du ciel, et autres choses semblables, il n’y a aujourd’huy si petit astrologue qui n’en fist autant [2]. Quelle absurdité ! Les astrologues d’aujourd’hui, quelque fous qu’ils puissent être, n’ont point la témérité de prédire qu’il tombera des pierres du ciel. Nos faiseurs d’almanachs, nos plus fameux tireurs d’horoscope se donnent bien garde de commettre si imprudemment leur réputation. Ils savent trop bien que la prévision de telles chutes surpasse toutes leurs lumières. Pline avait raison de dire que la prédiction d’Anaxagoras eût été un plus grand miracle, que de voir tomber une pierre qui aurait été au corps du soleil [3]. Remarquez qu’il y a un intervalle d’environ soixante années entre le temps où Pline dit que la prédiction fut faite, et le temps où, selon Plutarque, elle fut accomplie. Voici une autre observation. Photius, dans ses extraits de la Vie d’Apollonius, prétend qu’Anaxagoras fut considéré comme un grand devin, pour avoir prédit par l’art magique qu’il pleuvrait [4]. Je ne saurais croire que Photius ait si mal compris la pensée de Philostrate : j’attribue cette fausseté énorme au mauvais état où son ouvrage a été mis par les copistes ; et je ne puis assez m’étonner de ce que le traducteur [5] a pu se résoudre à faire imprimer cette page-là. Sa traduction est un tissu d’impertinences si grossières, et de raisonnemens si monstrueux, et avec cela si formellement contraire à l’original de Philostrate, qu’on ne peut comprendre quoi que ce soit à sa conduite. A-t-il cru que le texte de Photius était correct ? Il fallait donc qu’il rêvât à quelque autre chose. A-t-il cru que les lecteurs auraient la stupidité de prendre cela pour bon ? Il était donc dans une sécurité qui tient da prodige. J’exhorte ceux qui en ont le talent à examiner cet endroit de Photius : ils y trouveront des plaies qui demandent la dextérité des meilleures mains, et qu’ils guériront peut-être par le secours des manuscrits comparés avec le texte de Philostrate.

(K) Touchant le procès d’impiété qu’on lui fit ; les uns disent qu’il fut condamné ; les autres qu’il fut absous. ] Il fut accusé par Cléon comme un impie, pour avoir dit que le soleil est une masse de matière enflammée ; et, malgré la protection de Périclès, il fut condamné au bannissement et à une amende de cinq talens. C’est ainsi que Sotion narrait la chose [6]. Mais dattes disaient que Thucydide le déféra et l’accusa, non-seulement d’impiété, mais aussi de trahison, et que l’accusé fut condamné à la mort par contumace [7]. D’autres ont dit qu’il était dans la prison lorsqu’on prononça contre lui l’arrêt de mort. Ils ajoutaient que Périclès demanda aux juges : Trouvez-vous qu’il ait commis quelque crime ? et qu’ayant compris qu’on ne lui en imputait aucun, il dit : Je suis son disciple : ne le perdez donc point, prévenus par des calomnies ; croyez-moi plutôt et redonnez lui la liberté. Il obtint cela ; mais l’accusé conçut un si grand chagrin de ce procès, qu’il renonça à la vie [8]. D’autres contaient qu’il fut mené devant les juges par Périclès, et que le chagrin l’avait tellement amaigri et abattu, qu’il avait beaucoup de peine à marcher ; de sorte qu’il fut absous, bien moins parce qu’on le trouva innocent, qu’à cause de la compassion qu’il excita [9]. J’ai dit ailleurs [10] que Périclès ne trouva point de meilleur moyen de sauver ce philosophe, que de le faire sortir d’Athènes.

Notez un peu quatre choses : 1°. Les accusateurs d’Anaxagoras [11] étaient

  1. Philostr. in Vitâ Apollonii, lib. I, cap. II. Je me sers de la Traduction de Vigenère.
  2. Artus Thomas Sr. d’Embri, Annotat. sur la Vie d’Apollonius, tom. I, pag. 91.
  3. Voyez ses paroles ci-dessus, citation (138).
  4. Photius, Biblioth. Cod. CCXLI, pag. 1017.
  5. André Schottus,
  6. Sotion, in Successionibus Philosophorum, apud Diog. Laërt., lib. II, num. 12.
  7. Satyrus in Vitis, apud Diog. Laërt., lib. II, num. 12.
  8. Hermippus in Vitis, apud Diog. Laërt. lib. II, num. 13.
  9. Hieronymus, in sec. lib. Commentar. varior. apud Diog. Laërt., lib. II, num. 12.
  10. Dans la remarque (M) de l’article de Périclès, vers le milieu.
  11. Cléon, ou Thucydide. Voyez Plutarque dans la Vie de Périclès, pag. 170, et 155.