menée en Espagne, et qu’Ausone avait blâmée. Voilà ce qui fait juger que ce poëte vivait encore l’an 392, d’où il s’ensuit qu’il vécut long-temps ; car il était déjà vieux lorsqu’il fut fait consul, l’an 379[1]. Joignez à cela, que la différence d’âge entre lui et son père était fort petite[2] ; or il survécut à son père, qui mourut à l’âge de quatre-vingt-dix ans.
(D) Il y a d’habiles gens qui croient qu’il n’était pas chrétien. ] Vossius est de ce nombre : Poëta fuit gentilis, dit-il[3], quemadmodùm ex Paullino liquet : ut quæ Christum celebrant perperam illi sint tributa. Le père Briet assure la même chose ; il ne fait que donner un autre tour aux phrases de Vossius : Ex Paullino certum est eum ethnicum fuisse, quare opera christiana huic adjudicari solita, sine dubio alterius sunt[4]. M. Borrichius passe plus avant, car il assure qu’Ausone encourut souvent les censures de Paulin, à cause de son paganisme : Religione ethnicus, eoque à Paullimo amico, sed christianis sacris dedito, identidem objurgatus.... [5]. Paullinus discipulus Ausonii quem colebat ut præceptorem, sed ut aversum à christianâ religione subindè increpabat, quemadmodùm ex opere ipsius liquidum est[6]. Tout ceci nous montre que même les grands auteurs s’épargnent la peine d’aller aux sources, et qu’ils s’arrêtent au témoignage du premier venu. Ceux qui consultent les ouvrages de saint Paulin n’y trouvent rien qui leur persuade qu’Ausone faisait profession du paganisme ; et dès là qu’ils n’y lisent point qu’on ait exhorté fortement ce poëte à se faire baptiser, ils concluent qu’il professait l’Évangile. Ils le concluent encore plus certainement de ces paroles expresses qu’ils y rencontrent :
Ainsi la lecture des ouvrages de saint
Paulin fait tout le contraire de ce que
Vossius et quelques autres ont assuré ;
elle fait voir le christianisme d’Ausone,
comme l’a très-bien reconnu
Lilius Gyraldus. Christianus quidem
Ausonius fuit, ut ex ejus versibus, et
item Paulini ejus discipuli facilé colligimus
[9]. C’est donc sans nul fondement
qu’on veut ôter à ce poëte ce
qui se trouve à la louange de Jésus-Christ
dans le recueil de ses vers. Il
est même vrai que, quand on lui ôterait
le Carmen paschale, et l’excellente
pièce qui commence par
Omnipotens, solo mentis mihi cognite cultu,
comme quelques critiques veulent
qu’on lui ôte l’Oratio paschalis, versibus
rophalicis, on ne laisserait pas
de trouver dans ses ouvrages de quoi
réfuter ceux qui disent qu’il était
païen. Or, voyez combien il importe
de s’adresser entre les modernes, plutôt
à ceux-ci qu’à ceux-là, lorsqu’on
ne veut pas prendre la peine de remonter
jusqu’aux sources. Si Vossius
se fût adressé à Baronius, il se fût
épargné la faute qu’il a commise, et
il l’eût épargnée à ceux qui l’ont copié.
Il n’eût jamais pu comprendre,
après avoir lu Baronius, que saint
Paulin fournisse la moindre preuve
du prétendu paganisme du poëte Ausone ;
car ce savant cardinal rapporte
la réponse respectueuse de saint Paulin,
et fait voir que les pensées d’Ausone
sur la retraite de cet ami ne diffèrent
pas de celles que les chrétiens
attachés au monde forment tous les
jours, quand ils voient un jeune
homme de qualité renoncer à tous les
avantages de la terre, pour se consacrer
à la vie monastique[10]. On
prétend qu’Ausone jugea qu’une humeur
de misanthrope, qu’une maladie
de Bellérophon portaient Paulin à
se retirer du monde et à renoncer aux
muses[11].
Tristis, egens, deserta eolat, tacitusque pererret
Alpini convexa jugi ; ceu dicitur olim
- ↑ Auson., in Gratiar. Actione, pag. 709.
- ↑ Auson., Epist. I.
- ↑ Vossius, de Poët. lat., pag. 55.
- ↑ Brietius, de Poët. lat., lib. IV, pag. 50.
- ↑ Borrich., Dissertat. de Poëtis, pag. 73.
- ↑ Idem, ibid., pag. 74.
- ↑ C’est-à-dire à Ausone.
- ↑ Paullinus, in Epistolâ de fore ad Ausonium, in fine.
- ↑ Gyraldus, Histor. Poët., Dialog. X, pag. 514.
- ↑ Baron., ad ann. 394, num. 84.
- ↑ Je m’exprime ainsi, parce qu’encore que Paulin ait donné ce sens aux termes d’Ausone, il y a sujet de croire que ce n’est pas le véritable, et qu’il faut entendre ici une imprécation contre celui qui conseillait à Paulin de ne pas répondre aux Lettres d’Ausone.