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DASSOUCI.

frui maritos, altero dimidio in soccis deposito [1]. Un de ces maris se plaignait d’avoir épousé une femme mi-partie, moitié de bois et moitié de chair [2]. Scioppius se figure qu’il a trouvé dans Juvénal qu’en certaines femmes les deux portions de ce partage n’étaient pas égales, et que le corps humain ne devait être considéré que comme l’appendix. Les éditions portent :

........................ Si breve parvi
Sortita est lateris spatium, breviorque videtur
Virgine Pygmæa, nullis adjuta cothurnis,
Et levis erectâ consurgit ad oscula plantâ [3].


Mais Scioppius, au lieu d’adjuta, veut qu’on lise adjuncta, et il confirme par un exemple sa conjecture : Parvam puellæ staturam exprimit, dùm eam cothurnis adjunctam ait, sicut Cicero de genero suo, quis meum generum alligavit gladio [4] ?

(E) Le duc de Saint-Simon le fit entendre à Louis XIII, à Saint-Germain. ] Si l’on s’en tient à la narration de l’auteur, cet avantage lui fut procuré l’an 1640, plus ou moins ; car il suppose qu’en 1655 un valet de pied du roi lui dit, il y a plus de quinze ans que je vous connais, ce fut moi qui vous allai quérir quand monsieur le duc de Saint-Simon vous fit entendre au roi à Saint-Germain [5]. Cela montre qu’avant ce temps-là le sieur d’Assouci n’avait point été admis auprès de ce prince. D’où vient donc qu’il assure en un autre endroit [6] qu’il a diverti vingt ans durant le roi Louis XIII ? Ce n’est pas la première fois que j’ai observé que les auteurs ne sont pas de bons chronologues dans leur propre histoire. Notez que notre homme nous apprend [7] qu’il a été au service de M. d’Angoulême, fils naturel de Charles IX, et qu’il triompha de tous les efforts qu’on fit pour l’en débusquer.

(C) Il avait fait connaissance avec un homme qui a paru dans un coin des satires de M. Despreaux, et qui par cette raison mérite une place dans mon commentaire. ] D’Assouci, dans le récit de son voyage de Châlons sur-Saône, à Lyon, nous conte qu’ayant fait dire à ses pages de musique plusieurs chansons touchantes et passionnées [8], il attira un auditeur qui était aveugle, et qui avait de chaque côté des mandibules pour le moins un bon quartier d’oreilles si belles et si vermeilles, que bien que son nez ne fut pas moins haut en couleur, on avait de la peine à juger qui emportait le prix, ou la pourpre de son nez, ou le cinabre de ses oreilles [9]. Interrogé qui il était, il répondit [10] : « Je suis..... des descendans d’Homère, et j’ose dire que j’ai encore quelque avantage sur ce divin personnage ; car bien qu’il fût aveugle comme je suis, et qu’il chantât ses vers publiquement par les portes comme je chante les miens, il n’avait que la jambe velue, et moi je suis velu comme un ours par tout le corps... Je suis poëte et chantre fameux, mais un chantre doué d’un organe si puissant, et d’une voix si éclatante et si forte, que pourvu que j’aie pris seulement deux doigts d’eau-de-vie, si je chantais sur le quai des Augustins, le roi m’entendrait des fenêtres de son Louvre. Cela dit, sans attendre d’être prié, il tira de sa poche un petit livre couvert de papier bleu, et l’ayant donné à un jeune garçon qui lui servait de guide, ils unirent tous deux leurs voix, et tous deux le chapeau sur l’oreille, ils chantèrent ces agréables chansons :

Hélas ! mon amy doux, etc.


» Et cette autre que chantait autrefois Gautier-Garguille,

» Baisez-moi, Julienne.
» Jean Julien, je ne puis.


» Après celle-ci, il en chanta une de sa façon, toute nouvellement fabriquée, dont le titre était celui-ci : Chanson pitoyable et récréative sur la mort d’un cordonnier, qui se coupa la gorge avec son tranchet pour se venger de l’infidélité de sa femme. » On voulut savoir son nom,

  1. Jul.-Cæsar. Scaliger., Poët., lib. I, cap. XIII, pag. m. 48.
  2. Undè etiam cujusdam querela, qui se uxorem semiligneam duxisse dicebat. Comment. in Alciati Emblem., pag. m. 589.
  3. Juven., sat. VI, vs. 502.
  4. Scioppius, Verisimil., lib. IV, cap. X, pag. m. 148, 149.
  5. D’Assouci, tom. I, pag. 47.
  6. Là même, tom. II, pag. 14.
  7. Là même, pag. 10.
  8. Là même, tom. I, pag. 247.
  9. Là même, pag. 249.
  10. Là même, pag. 251.