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DASSOUCI.

autres. Les présens qui avaient accoutumé de venir toutes les semaines, ne venaient plus que tous les mois, et parmi les ordinaires bontés de ces astres benins, remarquant une certaine froideur, qui ne s’accordait point avec l’espérance que j’avais de mon établissement, … je fis, etc. [1]. Un bon courtisan n’imite pas les huguenots, qui n’invoquent que Dieu seul ; il imite les dévots de la communion romaine, qui s’attachent beaucoup plus au culte des saints qu’à celui de Dieu. D’Assouci conforma ses dévotions aux idées des protestans, et n’y trouva point son compte. Voyons quelque chose de la description qu’il a faite de son zèle pour la duchesse royale. Durant quatorze mois que je demeurai dans cette cour, il n’est pas croyable combien j’employai de soins pour mériter un établissement : je ne laissais passer aucune occasion pour me rendre nécessaire ; quoique pour l’église je ne sois pas un Orlande de Lassus, et que pour la chambre de cette princesse je n’eusse déjà que trop d’emploi, ayant maintes fois ouï dire qu’on n’entre point en paradis malgré les saints, je voulus, pour me les rendre propices, faire encore musique à sa chapelle, soit qu’elle ouït la messe dans sa chambre, au saint suaire ou en quelque autre église, je la suivais partout comme un barbet ; partout on voyait mon luth et Pierrotin à sa suite ; par ce moyen je devins, en peu de temps, la plus dévote personne du monde ; car il ne faut pas croire que cette pieuse princesse, qui pleurait ordinairement aux autels, eût cru satisfaire aucunement à sa piété, assistant à une seule messe : il lui en fallait tous les jours pour le moins deux, et le plus souvent trois, durant lesquelles je faisais une très-longue et très-dévote musique, et toujours à deux genoux. Juge, lecteur, si je ne devais pas être tout à Dieu ; cependant, je t’assure que la chose à quoi je pensais le moins c’était de l’importuner de mes prières. Apollon, qui partout me tenait au collet, me pardonnait encore moins en ce saint lieu, j’y avais toujours l’imagination remplie de l’idée de quelque beau motet ; et quoique les paroles que je murmurais entre mes dents fussent toutes saintes et sacrées, ce n’était pas tant pour la gloire de Dieu que je les voulais unir à mes chants, que pour la satisfaction de cette divinité mortelle, qu’alors, moi malheureux, j’eusse préférée à la divinité même [2]. Voyez la note [3].

(F) Il se glorifie d’avoir pris la plume pour la défense de l’église romaine. ] L’une des extravagances dont il blâme ses ennemis est de l’avoir accusé d’irréligion. Vous avez été assez méchans et assez sots, leur dit-il [4], pour avoir fait passer..... pour impie celui que Dieu n’a exposé à vos persécutions que pour le raffiner dans l’exercice de la piété ; pour un écrivain ennemi des choses sacrées, celui qui dans ses écrits a défendu Rome des attentats de l’ennemi de sa gloire et de ses autels, qui a employé toute son encre et répandu tout son encens en faveur de ses saints ministres et de ses sacrés prélats. Il ne devait pas se faire un mérite d’avoir entrepris un tel ouvrage. La dévotion y eut-elle part ? Ne fut-ce pas plutôt pour obtenir quelque récompense ? C’est là l’étoile polaire des écrivains comme lui : ils passent d’un sujet profane à un sujet tout céleste, dès que l’espérance du gain se montre de ce côté-là [5] :

Græculus esuriens, in cælum, jusseris, ibit [6].

(G) Il se plaint de M. Boileau, qui n’avait pourtant rien dit que ce qu’il fallait contre le burlesque. ] D’Assouci réfute le mieux qu’il peut [7] ces paroles de M. Boileau,

......... Qu’enfin la cour désabusée
Méprisa de ses vers l’extravagance aisée.

Il est bien aisé, dit-il [8], de toucher un faquin qui rit de toute chose ; mais il est bien malaisé d’émouvoir

  1. Là même, pag. 337.
  2. D’Assouci, Aventures d’Italie, pag. 168 et suiv.
  3. Mon zèle était si grand envers ces bénignes puissances, dit-il, pag. 176, que si j’en eusse eu autant pour Dieu, je ne doute point qu’il ne m’eût déja récompensé de son paradis.
  4. D’Assouci, tom. II, pag. 20.
  5. Si dolosi spes affulserit nummi. Persius, in Prologo. Voyez la conduite de l’Arétin, tome II, pag. 301, remarque (I) de l’article Arétin (Pierre).
  6. Juven., sat. III, vs. 78.
  7. D’Assouci, Aventures d’Italie, pag. 241.
  8. Là même, pag. 252.