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DASSOUCI.
DIALOGUE.

C.MAdieu, Matthieu.
M.CAdieu, Dieu.
C.MPrens la lance et ton épieu,
CM.Et t’en vas en Galilée.
M.CPrendrai-je aussi mon épée ?
C.MEt quoy donc ?
M.CAdieu donc [* 1].


Est-il rien de plus sot et de plus impertinent que faire parler ainsi ces personnes célestes ? Cependant est-il rien de plus plaisant ni de plus naïf ? Et ne m’avouerez-vous pas que ces vers, qui feraient rire saint Matthieu, et le bon Dieu même, s’il était encore sur la terre, valent mieux que tous les vers médiocres qui sont au monde, qui ne sentent ni sel ni sauge ?

(H) Je copierai ce qu’il dit concernant un poëte fou,..... et qui est auteur imprimé. ] « Mais qui peut mieux authentiquer cette folie authentique que le pauvre défunt Ragueneau ? Ragueneau connu de tout le Parnasse, Ragueneau aimé de tous les poëtes, et chéri de tous les comédiens ; enfin ce fameux pâtissier Ragueneau qui, avec six garçons dans sa boutique, travaillant sans cesse auprès d’un feu continuel, dans un four achalandé, faisait la nique à tous les pâtissiers de Paris ; ce fameux pâtissier Ragueneau, qui ne faisait pleuvoir sur le Parnasse que des pâtés de godiveau ; ce père nourricier des muses, après avoir bien nourri ces ingrates filles, hélas ! qu’est-il devenu ? C’est à vous, Béis, que je le demande, qui lui inspirâtes la folie de faire des vers ; vous, Béis, qui nous avez ravi le plus excellent pâtissier de Paris, pour en faire le plus méchant poëte de l’univers. C’est vous, barbare, qui répondrez un jour dans la vallée de Josaphat, non-seulement de toute l’encre et de tout le papier qu’il a gâtés dans ce bas territoire, mais encore de tous les pâtés que (sans comprendre ceux que le Parnasse lui a excroqués) vous lui avez mangés à la gueule du four. Oui, Béis, vous rendrez compte un jour de ce pauvre innocent ; car enfin, c’était le meilleur homme du monde ; il faisait crédit à tout le Parnasse ; et quand on n’avait point d’argent, il était trop payé, trop satisfait et trop content quand seulement d’un petit clin d’œil on daignait applaudir à ses ouvrages. Je me souviens que, pour avoir seulement eu la patience d’écouter l’une de ses odes pindariques, il me fit crédit plus de trois mois sans me demander jamais un sou [1]. N’étant payé de personne, et ses créanciers voulant être payés, le pauvre Ragueneau sous les ruines de son four resta entièrement accablé. Ce fut un jour marqué de noir pour MM. les poëtes, que dès l’aube du jour on rencontra par les rues se torchant le bec, après avoir pris chez lui le dernier déjeuner, qu’une troupe de sergens affamés, à la barbe d’Apollon, encore toute dégouttante de la graisse de tant de friands pâtés, eut bien la hardiesse d’arrêter et de prendre au collet son cher bien-aimé Ragueneau, et le mener encore sans aucun respect ni de ses vers, ni de ses muses, dans le fond d’une prison, dont (après un an de captivité) étant sorti pour donner au monde les excellens ouvrages (qu’à l’imitation de Théophile) il y avait composés, ne trouvant dedans Paris aucun poëte qui le voulût nourrir à son tour, ni même écouter seulement l’un de ses vers, ni aucun pâtissier qui, sur un de ses sonnets, lui voulût faire crédit seulement d’un pâté de requête ; maudissant le siècle, et pestant contre l’ignorance du temps, il en sortit avec sa femme et ses enfans, lui cinquième, comptant un petit âne tout chargé d’épigrammes, pour aller chercher sa fortune au Languedoc, où, ayant rencontré une troupe de comédiens qui avaient besoin d’un homme pour faire un personnage

  1. * Les frères Parfaict, dans la préface de l’Histoire du Théâtre Français, tom. I, pag. xix, reprochent à Bayle de faire cette citation d’après d’Assouci, et défient de la trouver dans aucune pièce de théâtre, soit ancienne, soit nouvelle. Leduchat reproche à son tour aux frères Parfaict d’avoir eux-mêmes supprimé un vers dans une citation qu’ils font ailleurs ; et ce vers supprimé n’est pas moins irrévérencieux que le passage cité par d’Assouci. Leduchat observe au surplus qu’il est possible que les frères Parfaict n’aient point eu tous les volumes des Pois pilés. Il pouvait ajouter que D’Assouci ni Bayle ne donnent les Pois pilés pour une composition dramatique. Je n’ai pu au reste voir les Pois pilés, et je ne connais personne qui les ait vus.
  1. D’Assouci, Avent. d’ltalie, p. 238 et suiv.