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DASSOUCI.

de suisse, il entra avec eux en qualité de valet de carreau de la comédie, où, quoique son rôle ne fût jamais tout au plus que de quatre vers, il s’en acquitta si bien, qu’en moins d’un an qu’il fit ce métier, il acquit la réputation du plus méchant comédien du monde ; de sorte que les comédiens, ne sachant à quoi l’employer, le voulurent faire moucheur de chandelles ; mais il ne voulut point accepter cette condition, comme répugnante à l’honneur et à la qualité de poëte ; depuis, ne pouvant résister à la force de ses destins, je l’ai vu avec une autre troupe qui mouchait les chandelles fort proprement : voilà le destin des fous quand ils se font poëtes, et le destin des poëtes quand ils deviennent fous [1]. »

(D) Loret..... fut..... prompt à débiter les nouvelles désavantageuses à d’Assouci. ] « Du moment que je fus arrêté, mes ennemis... mandèrent incontinent à Paris les nouvelles de ma mort, qui, n’étant aucunement désagréables à feu Loret, sans en attendre la confirmation lui inspira ces beaux vers qu’il fit en grande hâte à ma louange, et que depuis, à sa confusion, on a vu courir la pretantaine dans sa gazette. Aujourd’hui ce mauvais poëte est allé mentir en l’autre monde, et moi je suis encore en celui-ci [2]. » Joignons à cela cet autre passage : Ce sont ces mêmes sots, qui servant d’échos à l’ouïr-dire, m’ont tant de fois tué dans leurs gazettes, et qui après m’avoir noyé à Ferrare et à Venise, auparavant que j’y eusse jamais mis le pied, m’ont tiré de la mer et de tous ses fleuves, pour me venir cuire à Montpellier, et qui enfin, après n’avoir bien jeté de la poële au feu, éventré, mis à l’étuvée et haché menu comme chair à pâté, m’ont remis en mon premier état pour me refricasser de nouveau en Avignon, dont de leur grâce ils m’ont encore retiré sans aucune lésion ni solution de continuité, pour me confiner pour le reste de mes jours dans le saint-office, dont pourtant je viens de sortir aussi brillant et aussi entier que si je venais de naître, sans que dans tous ces voyages, que MM. les sots m’ont fait faire, le temps seulement m’ait ôté un cheveu de la tête [3]. Il se vengea de Loret autant qu’il lui fut possible, et l’accusa d’une insigne fraude. Voici ses paroles « Qu’avais-je fait à ce beau rimeur des halles, pour insulter si fièrement contre l’honneur de mes muses, plus éclairées et plus honnêtes que les siennes ? Quoique son métier de piper au jeu le pût bien dispenser de faire de si méchans vers, l’avais-je appelé filou, l’avais-je appelé poëte de balle, ne l’avais-je pas toujours nommé Loret ? Quoi donc ! jouant contre lui chez feu M. le maréchal de Schomberg, ne m’avait-il pas dérobé assez d’argent avec ses fausses cartes, sans dérober encore mon honneur et ma fortune avec ses fausses rimes ? Quoi ! mon Ovide en belle humeur l’avait-il pu rendre assez chagrin pour se venger de mes vers au préjudice de mes mœurs ? Cependant, ce barbare rimeur s’en est bien vengé, puisque c’est sur cette base que la sotte canaille, encore plus barbare que lui, a depuis fondé sa médisance pour m’en persécuter par toute la terre, aussi-bien que tant d’honnêtes gens qui croiraient jusques au jugement final que j’aurais été boucané par les sauvages de Montpellier, si mes écrits, pour le moins aussi durables que les siens, ne vérifiaient le contraire. Oui, ce pied-plat s’en est bien vengé ; puisque c’est lui qui a fourni des armes à mes ennemis, et des prétextes à la calomnie de tous mes envieux ; qui a ravagé ma fortune, et ruiné mes espérances ; qui de mon meilleur ami en a fait mon persécuteur, et qui enfin m’a exposé à tant de périls et à tant de mortelles disgrâces. Dieu ! peut-on voir sans frémir de tels assassinats ? et la France peut-elle souffrir sans honte de tels assassins [4] ? » Je pense qu’on publia aussi qu’il avait été pendu en effigie, car il se plaint qu’on l’a fait passer pour un homme de qui le portrait a servi d’épouvan-

  1. D’Assouci, Aventures d’Italie, pag. 288.
  2. D’Assouci, tom. II, pag. 155.
  3. Là même, pag. 23 et suiv.
  4. D’Assouci, Aventures d’Italie, pag. 87 et suiv.