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DAVID.

sa vie il a mérité un grand blâme, je les supprime dans cette édition, d’autant plus agréablement que des personnes beaucoup plus éclairées que moi en ce genre de matières m’ont assuré que l’on dissipe facilement tous ces nuages d’objections, dès qu’on se souvient, 1o. qu’il était roi de droit pendant la vie de Saül ; 2o. qu’il avait avec lui le grand sacrificateur qui consultait Dieu pour savoir ce qu’il fallait faire ; 3o. que l’ordre donné à Josué d’exterminer les infidèles de la Palestine subsistait toujours ; 4o. que plusieurs autres circonstances, tirées de l’Écriture, nous peuvent convaincre de l’innocence de David dans une conduite qui, considérée en général, paraît mauvaise, et qui le serait aujourd’hui.

(H) Je ne marquerai pas beaucoup de fautes de M. Moréri. ] Cinq seulement.

I. David était âgé de vingt-deux ans lorsque Samuel l’oignit de l’huile destinée au sacre des rois. Cela est incompatible avec ce qui suit et avec ce qui précède. Cet auteur venait de dire que David naquit l’an 2950 du monde, et un peu après il marque que David vainquit Goliath l’an 2971 du monde. Il est manifeste que la victoire sur Goliath est postérieure au sacre de David, au lieu que selon Moréri la cérémonie du sacre ne se fit qu’un an après cette victoire. Pour corriger cette faute, il faut dire que David reçut l’onction âgé de vingt ans [1]. Le reste n’a pas besoin de correction ; car il est vrai que David vainquit Goliath l’année d’après son sacre.

II. Il n’est pas vrai que Saül ait renouvelé la persécution contre David, depuis que celui-ci se fut abstenu deux fois de lui faire le moindre mal, en ayant la plus favorable occasion du monde. Il est un peu surprenant que l’Écriture, pour aggraver le crime de Saül, n’ait pas remarqué qu’il se repentit bientôt de sa réconciliation avec David, et qu’il se rendit coupable d’une noire ingratitude. Dans le chapitre XXIV du Ier. livre de Samuel, il apprend que David, le pouvant tuer dans une caverne, n’avait voulu lui faire aucun mal : il admire cette générosité ; il souhaite que le bon Dieu la récompense ; il reconnaît que la couronne est destinée à David ; il lui recommande sa famille, et s’en retourne dans sa maison. Dans le chapitre XXVI du même livre, il apprend que David, le pouvant tuer de nuit ds sa tente, on retire sans lui rien faire : il admire cette générosité ; il donne sa bénédiction à David ; il lui prédit toute sorte de prospérité, et s’en retourne chez soi. M. Moréri prétend que ces deux choses si semblables arrivèrent la même année. Je le répète il est un peu surprenant que l’Écriture ne se serve point du premier de ces deux faits, pour rendre plus odieuse l’opiniâtreté de Saül à persécuter son gendre. Deux ou trois lignes pouvaient faire un grand effet : un lecteur eût été frappé de voir que Saül, redevable de la vie à son beau-fils, le loue, l’admire, lui souhaite mille bénédictions, et ne laisse pas, dans peu de temps, de se remettre en campagne pour le perdre. Les lois de la narration demandent sans doute qu’en parlant de cette nouvelle poursuite, on observe qu’elle était une infraction de cet accord solennel qui avait suivi l’aventure de la caverne. Cependant vous ne trouverez pas un iota dans Écriture touchant cette circonstance. Voici d’autres sujets de surprise. David exposant à Saül qu’il ne s’était point rendu digne de la persécution qu’il souffrait, et qu’il n’avait tenu qu’à lui de le tuer dans sa tente, ne représente pas que c’était la seconde fois qu’il avait eu la vie du roi entre ses mains, et que le roi avait bientôt mis en oubli l’aventure de la caverne. Saül de son côté, qui avoue qu’il a tort, et qui parle à David de la manière du monde la plus honnête, n’observe point que c’est la seconde fois qu’il lui doit la vie. Avouons que de telles circonstances ne s’oublient pas. De plus, nous voyons que dans la première de ces deux rencontres David et Saül tiennent à peu près les mêmes paroles que dans la seconde. Si je voyais deux récits de cette nature, ou dans Élien ou dans Valère Maxime, je ne ferais pas difficulté de croire qu’il n’y aurait là qu’un fait qui, ayant été rapporté en deux manières, aurait servi

  1. Il naquit, selon Calvisius, l’an du monde 2860, et fut oint par Samuel l’an du monde 2880, et tua Goliath l’année d’après.