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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/437

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DAURAT.

comparer les petites choses aux grandes, il faudrait que les poëtes sur le retour chargeassent quelque personne de leur dire tous les matins : Souvenez-vous de l’âge que vous avez. Horace se vante d’avoir en un tel donneur d’avis [1], et voici ce que je trouve dans le Ménagiana. « M. du Périer a prié autrefois ses amis d’avoir la charité de l’avertir lorsque sa veine baisserait et qu’il ne serait plus en état de faire des vers avec honneur. Il est temps de le faire [2]. » Si Daurat se fût conduit avec cette précaution, il n’eût point survécu à sa propre gloire. Mais rien ne lui a fait plus de tort que de s’être assujetti volontairement à versifier sur tous les livres qui s’imprimaient. Quelle pitié, disait Balzac [3], d’être obligé de louer tous les livres imprimés nouvellement, c’est-à-dire, d’être de pire condition en prose que n’était Auratus poëta regius, qui faisait de bonne volonté ce que je fais en forçat et en condamné ! On a vu de plus fraîche date un poëte français [4], qui préparait des sonnets pour les livres à venir. Voyez comment on le berne dans la suite du Parnasse réformé.

(P) Il était... bon critique... ; mais il n’a donné que peu de chose de cette nature. ] On voit quelques-unes de ses remarques critiques sur les vers des sibylles dans l’édition d’Opsopæus. il avait fort travaillé sur ce sujet dans ses leçons, comme nous l’apprend une lettre de Stuckius à Goldast [5]. Quàm doleo, dit-il, me Jo. Aurati præceptoris mei viri ingeniosissimi, et in emendandis antiquis poëtis græcis acutissimi dictata, et annotationes in illâ carminâ antè multos annos, et ejus ore calamo exceptas, cum aliis nonnullis meis libris Lutetiæ amisisse !

(Q) Il commençait à s’apoltronner. ] Scaliger parle au temps présent, Il commence à s’apoltronner ; etc. Sur quoi voyez la remarque (E) de cet article.

(R) Il mourut....âgé de plus de quatre-vingts ans. ] La Croix du Maine donnait à Daurat dix ans moins que les autres : il plaçait sa naissance à l’an 1517 [* 1] : il aurait donc dû croire que Daurat est mort à l’âge de soixante et onze ans. M. Baillet [6] a raison de ne pas trop s’arrêter à ce sentiment au préjudice de celui de Papyre Masson [* 2], du président de Thou, et de Scévole de Sainte-Marthe, qui avaient tous connu très-particulièrement Daurat, puisqu’il est certain que La Croix du Maine se trompe. Voici quatre vers de Daurat qui en donnent la démonstration : ils furent faits sur la mort de Léodégarius à Quercu qui avait vécu quatre-vingt-cinq ans.

Octoginta annos quo natus quinque supraque,
Officio functus, plenus honoris obis.
At tuus Auratus pare pœnè ætate superstes,
Hos elegos tumulo donat habere tuo.


M. Ménage s’en sert [7], pour prouver que Daurat a vécu plus de quatre-vingts ans : en quoi il est incomparablement mieux fondé que lorsqu’il accuse M. Baillet [8] d’avoir dit que ce poëte n’en vécut que soixante et onze ; car il est vrai que M. Baillet le dit comme une chose différente de l’opinion commune, mais il marque en même temps que cette opinion commune est préférable à celle de La Croix du Maine. Je remarquerai une autre petite méprise de M. Ménage. Il dit que tous les poëtes du temps firent des vers sur la mort de Daurat, et entre autres Ronsard son disciple favori [9]. Mais il est sûr que Ronsard mourut [10] quelques années avant son maître ; et il ne fallait que jeter les yeux sur ces paro-

  1. * Leclerc, s’appuyant sur des passages des poésies de Daurat, prouve que la date donnée par La Croix du Maine est exacte.
  2. * Papyre Masson, comme le remarque Leclerc, parle de Daurat en termes qui prouvent qu’il ne l’avait pas connu. Dès lors le passage cité, notes 24 et 25 de la remarque G, n’a plus autant de poids, et contredit d’ailleurs ce que Daurat dit lui-même.
  1. Est mihi purgatam crebro qui personet aurem,
    Solve senescentem mature sanus equum, ne
    Peccet ad extremum ridendus et ilia ducat.
    Horat., epist. I, lib. I, vs. 7.

  2. Ménagiana, pag. m. 384.
  3. Lettre XXV à Chapelain, liv. IV. pag. m. 194.
  4. Il s’appelait Pelletier. Voyez la Guerre des Auteurs, pag. m. 163.
  5. C’est la XIIIe. du Recueil des Lettres à Goldast, publié à Francfort en 1688.
  6. Jugem. sur les Poëtes, tom. III, pag. 403.
  7. Remarques sur la Vie d’Ayrault, pag. 499.
  8. Anti-Baillet, tom. I, pag. 266.
  9. Remarques sur la Vie d’Ayrault, pag. 187.
  10. Le 27 décembre 1585.