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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/452

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DÉJOTARUS.

ce meschant athéiste, il faudroit tous les ans faire une rigoureuse visite de tous les habitans des grandes et populeuses villes, et mettre à mort tout ce qui est inutile, et qui empesche de vivre le reste, comme sont les personnes qui n’ont aucun mestier profitable au public, les vieillards caduques, les vagabonds et feneans : il faudroit effemesler la nature, esclaircir les villes, mettre à mort tous les ans un million de personnes, qui sont comme les ronses ou les orties des autres, pour les empescher de croistre. » L’action que Plutarque impute à Déjotarus ne paraît pas trop certaine, quand on la compare avec les louanges que Cicéron a données à ce roi de Galatie, et avec le silence des accusateurs par rapport à une telle inhumanité. Aurait-on osé appeler Déjotarus un très-bon père de famille, optimus paterfamilias [1], si Castor, son petit-fils, avait pu lui reprocher le meurtre de ses enfans ? Aurait-on osé dire que sa probité, reconnue de tout le monde, réfutait assez pleinement la calomnie ? Hoc loco Dejotarum non tam ingenio et prudentiâ, quàm fide et religione vitæ defendendum puto. Nota tibi est, C. Cæsar, hominis probitas, not mores, nota constantia : cui porrò, qui modo populi Romani nomen audivit, Dejotari probitas, integritas, gravitas, virtus, fides non sit audita [2] ? Remarquez bien qu’au temps de l’accusation, Déjotarus n’avait qu’un fils. Il est même vrai qu’il n’en avait qu’un quand César logea chez lui [3]. On me dira que Strabon [4] rapporte une chose qui favorise Plutarque : c’est que Déjotarus s’étant emparé de la ville capitale de Saocondarius, son gendre, l’y fit massacrer, traita de même sa fille, femme de Saocondarius, démolit la forteresse et saccagea presque toutes les maisons. Je répondrai que cela diffère beaucoup de la narration de Plutarque. On fit cela sans doute pour se venger de la noire trahison de ce gendre, qui apparemment avait été le principal directeur de l’accusation de Déjotarus.

Disons en passant que la ville capitale de Saocondarius s’appelait Gorbéius ; mais comme Strabon, peu de pages auparavant [5], nomme Morzéus la capitale du petit-fils de Saocondarius, il y a quelque apparence que ces noms-là ne sont point dans leur état naturel. Casaubon le conjecture. On peut conjecturer la même chose touchant la ville capitale de Déjotarus ; elle s’appelait Blucium [6], suivant quelques manuscrits, et Blubium, suivant quelques autres. Qui doute qu’il n’y ait là une faute, puisque Cicéron [7] nomme Castellum Lucceium [8] le château où Déjotarus devait recevoir César ?

(G) Il y a beaucoup d’apparence que Castor lui échappa. ] Castor fut à Rome le promoteur de l’accusation, et y suborna le médecin de Déjotarus, pour le faire déposer contre son maître [9]. Jugez si Déjotarus, qui n’épargna point sa fille, aurait épargné un tel petit-fils ? Il faut donc croire que Castor ne lui tomba pas entre les mains. Je ne sais ce que devint le fils de Déjotarus ; il ne succéda point à son père : il avait obtenu du sénat [10], et puis de César [11], le titre de roi, et il devait épouser une fille d’Artavasde, roi d’Arménie [12]. Cicéron le loue beaucoup [13]. Le successeur de Déjotarus s’appelait Amyntas, si l’on en croit Strabon [14]. Or, cet Amyntas avait été secrétaire de Déjotarus [15], et puis général de ses troupes dans l’armée de Brutus [16] : il abandonna le parti de Brutus, et passa au camp d’Antoine. Ce fut sans doute ce qui obligea Antoine à lui donner la Pisidie, en 714 [17], et la Galatie, la

  1. Cicéron l’appelle ainsi, pro Dejotaro, cap. IX.
  2. Ibidem, cap. VI.
  3. Ibidem, cap. III.
  4. Strabo, lib. XII, pag. 391.
  5. Ibidem, pag. 387.
  6. Ibidem, pag. 390.
  7. Pro Dejotaro, cap. VII.
  8. D’autres lisent Luceium.
  9. Cicero, pro Dejotaro, cap. VI.
  10. Idem, ad Attic., epist. XVII, lib. V.
  11. Idem, pro Dejotaro, cap. III.
  12. Idem, epist. XXI ad Attic., lib. V.
  13. Idem, Philipp. XI, cap. VIII et XXXVI.
  14. Strabo, lib. XII, pag. 390.
  15. Dio, lib. XLIX, pag. 469.
  16. Philippic. XI, ubi sup.
  17. Appian., de Bell. civil., lib. V, pag. 715.