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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/461

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DELLIUS.

plus par les agrémens de ses paroles et de sa conversation que par sa beauté, qui n’avait rien de fort extraordinaire [1].

(B) Il se rendit coupable d’une grande indiscrétion. ] Il s’était plaint à table qu’on leur faisait boire du vinaigre, pendant que Sarmentus buvait à Rome le vin le plus délicieux. Ce Sarmentus était un jeune garçon qu’Auguste aimait ardemment. Cette comparaison allait loin ; et puisqu’elle offensa Cléopâtre, c’est un signe que Dellius s’était plaint que cette reine nourrissait mal ceux qui lui faisaient goûter le plaisir d’amour. Cela est assez extraordinaire ; car quand on a le moyen d’acheter pour de tels gens les viandes les plus succulentes et les meilleures liqueurs, on les leur fournit très-volontiers, afin d’augmenter ou de réveiller leur vigueur. Plutarque ne marque point d’où il a tiré cette cause de l’irritation de Cléopâtre contre Dellius : il n’y a point d’apparence qu’elle se trouvât dans l’histoire de ce dernier, comme on y trouvait qu’un médecin nommé Glaucus avertit Dellius que Cléopâtre le voulait faire mourir. Quoi qu’il en soit, Plutarque [2] observe que Dellius fut un de ceux qui abandonnèrent Marc Antoine, poussés à cela par les injures et par les bouffonneries des flatteurs de Cléopâtre. Nous verrons bientôt un passage de Dellius et de cette reine. Dion [3] parle d’un autre commerce bien plus criminel. Κύϊντον τινὰ Δέλλιον παιδικὰ ποτὲ ἑαυτοῦ γενόμονον, πέμψας. Misso ad eum Q. quondam Dellio exoleto suo [4].

(C) Plutarque....... dit que Dellius était un historien. ] Vossius [5] approuve la conjecture de Casaubon sur un passage de Strabon [6], où Adelphius est cité comme l’auteur de l’histoire de l’expédition de Marc Antoine contre les Parthes. Strabon ajoute que l’auteur de cette histoire avait commandé une partie des troupes dans cette expédition, et qu’il était bon ami de M. Antoine. Tout cela convient à Dellius : de sorte que n’y ayant point d’écrivain qui fasse mention de l’historien Adelphius, il est apparent, comme Casaubon le conjecture, qu’il faut lire Dellius et non pas Adelphius dans ce passage de Strabon. Quand j’ai dit tout cela convient à Dellius, je n’ai pas voulu dire que l’on a des autorités qui prouvent qu’il eut du commandement dans la guerre que Marc Antoine fit aux Parthes : j’ai seulement voulu dire que cela est fort apparent. En effet, nous savons que Marc Antoine le prit avec lui dans l’expédition d’Arménie, l’an 720, de Rome [7], et qu’il l’envoya deux fois à Artavasde pour des négociations.

(D) Sénèque le père rapporte diverses choses qui ne font aucun honneur à Dellius. ] À peine peut-on exprimer en notre langue le nom qu’on donnait à Dellius : Quem Messala Corvinus desultorem bellorum civilium vocat [8]. On le nommait le coureur des guerres civiles. Il se jeta dans tous les partis ; il changeait de postes tout comme les girouettes. Il quitta Dolabella pour se joindre à Cassius ; on lui avait promis la vie, pourvu qu’il tuât Dolabella. Il quitta Cassius pour se joindre à Marc Antoine ; et enfin il abandonna Marc Antoine, et embrassa le parti d’Auguste. C’est lui, ajoute Sénèque, dont on voit des lettres lascives écrites à Cléopâtre [9]. Sénèque le nomme Deillius. C’est sans doute de lui que Sénèque le philosophe parle, lorsqu’il dit qu’Auguste eut tant de clémence, qu’il choisit, dans l’armée ennemie, ceux qu’il voulait désormais admettre à sa plus grande familiarité, les Cocceius, les Duillius, etc. [10]. Il faut lire, selon la remarque de Lipse, non pas Duillius, mais Deillius, ou plutôt Dellius [11]. Si l’on se souvient de ce que

  1. Καὶ γὰρ ἦν (ὡς λέγουσιν) αὐτὸ μὲν καθ᾽ αὑτὸ τὸ κάλλος αὐτῆς οὐ πάνυ δυσπαράϐλητον, οὐδὲ οἷον ἐκπλῆξαι τοὺς ἰδόντας. Neque enim erat (ut perhibent) figura ejus per se usque adeo incomparabilis, neque ut obstupe faceret spectatores. Ibidem, pag. 927, D.
  2. Voyez ses paroles, remarque (F), à la citation (16).
  3. Lib. XLIX, pag. 474.
  4. C’est-à-dire, de Marc Antoine.
  5. Voss., de Hist. græcis, pag. 427.
  6. Lib. XI, pag. 360.
  7. Dio, lib. XLIX, pag. m. 474.
  8. Seneca pater, Suasoria I, pag. m. 12.
  9. Hic est Deillius cujus epistolæ lascivæ ad Cleopatram feruntur. Idem, ibidem.
  10. Cocceios et Duillios cohortem primæ admissionis ex adversariorum castris conscripsit. Seneca, de Clementiâ, lib. I, cap. X.
  11. Lipsius, in Tacit Annal., lib. I.