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DÉMOCRITE.

aut æquè fieri videmus, aut peritiùs, aut exercitatiùs [1].

(H) J’ai lu dans quelques modernes, que sa longue vie fut une suite de sa chasteté. ] Un auteur, que j’ai déjà réfuté [2], assure que Démocrite qui fut redevable d’une vie de plus de cent ans au miel et à son exacte continence, détestait l’œuvre de l’amour comme une chose qui faisait sortir un homme d’un homme. On cite Pline au livre XXVIII, chapitre VI ; mais vous ne trouvez dans Pline que ces paroles : Fenerem damnavit Democritus, ut in quâ homo alius exsiliret ex homine [3]. Pas un mot, ni de la vertu du miel, ni de celle de la continence, par rapport à la longue vie de Démocrite. À l’égard du miel, notre auteur moderne eût pu trouver un garant, puisqu’Athénée nous assure que Démocrite avait toujours fort aimé le miel, et qu’il avait cru que pour conserver sa santé il fallait appliquer du miel aux parties intérieures, et de l’huile aux parties extérieures [4]. Il semble même que ce philosophe eût promis la résurrection aux cadavres qu’on aurait ensevelis dans du miel ; car il y a beaucoup d’apparence que ces paroles de Pline, semilis et de asservandis corporibus hominum ac reviviscendi promissa Democrito vanitas qui non revixit ipse [5], ont du rapport à un passage de Varron, que je m’en vais copier. Quare Heraclides Ponticus plus sapit qui præcepit ut comburerent, quàm Democritus qui ut in melle servarent : quem si vulgus secutus esset, peream si centum denariis calicem mulsi emere possemus [6]. Mais sur l’autre chef je ne sais point où notre moderne trouverait une caution. Permettons-lui de raisonner, il ne viendra pas à son but : s’il dit que Démocrite n’a blâmé le jeu d’amour, que parce qu’il s’était extrêmement bien trouvé de s’en abstenir, il supposera un faux principe, puisqu’il y a un très-grand nombre de gens qui conseillent la chasteté, parce qu’ils éprouvent les tristes et fâcheuses suites de l’incontinence. Un autre moderne s’avance trop, quand il dit que Démocrite recommandait, et par des raisons, et par son exemple, de ne s’approcher du sexe que rarement. Morum prætereà integritas pudicitiaque tanta, ut rationibus exemploque rarum Veneris usum commendaret [7]. Il cite Pline et le chapitre IV du IIIe. livre de Rodericus à Castro de Naturâ Mulierum. Il ne dit point quel endroit de Pline il faut consulter ; mais il a égard sans doute aux paroles que j’ai citées du chapitre VI du livre XXVIII, paroles où l’on ne trouve nullement que Démocrite se soit donné en exemple. Roderic de Castro n’impute point à Démocrite de s’être cité ; et quand il le lui imputerait, il ne pourrait être qu’un aveugle qui conduit un autre aveugle.

Je ne dis point ceci pour donner la moindre atteinte à la continence de Démocrite : je veux seulement faire sentir aux auteurs modernes l’obligation où ils sont de n’avancer rien qu’ils ne trouvent dans des témoins dignes de foi. Nous verrons ci-dessous [8] que Tertullien ne lui donne pas un bon témoignage sur ce chapitre.

(I) On ne peut nier qu’il ne se repût de chimères à certains égards. ] Columelle [9] a cité le livre que Démocrite avait composé touchant les antipathies. On y trouvait que si une femme dans le temps de ses ordinaires faisait trois fois le tour de chaque compartiment, à pieds nus et les cheveux déliés, elle faisait mourir toutes les chenilles d’un jardin. Sed Democritus in eo libro qui Græcè inscribitur περὶ ἀντιπαθῶν, affirmat has ipsas bestiolas enecari, si mulier, quæ in menstruis est, solutis crinibus, et nudo pede unamquamque aream ter circumeat, post hoc enim decidere omnes vermiculos, et ita emori. Que peut-on dire qui sente plus la superstition ? Démocrite disait aussi que,

  1. Seneca, epist. XC, pag. m. 371.
  2. Balth. Bonifacius, Hist. ludicra, lib. XI, cap. V, pag. 317.
  3. M. Drelincourt m’a indiqué deux passages tout semblables : l’un est de Galien, comm. III in VI epidemior., pag. 478, l. 73 : l’autre de Tertullien, de Animâ, cap. XXVII, pag. 330, C. Voyez aussi Clem. Alexandrin., lib. II, Pædag., pag. 193, D.
  4. Athen., lib. II, cap. VII, pag. 46.
  5. Plin., lib. VII, cap. LV.
  6. Varro, in lib. περὶ ταϕῆς, apud Nonium, voce Vulgus.
  7. Magnenus, in Vitâ Democriti, pag. 9.
  8. Dans la remarque (K).
  9. De Re rusticâ, lib. XI, sub fin.