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DÉMOCRITE.

curæ suæ opus illo viro dignum judicavit : quod fecisse Cleemporum cùm alia suo et nomine ederet, quis credat ? Democriti certè chirocmeta esse constat. At in his ille post Pythagoram magorum studiosissimus quanto portentosiora tradit ?

Avant que de passer outre, je m’arrêterai un peu sur le titre de l’ouvrage dont Pline vient de parler. M. de Saumaise a trouvé heureusement que ce livre ne devait pas être intitulé, Chirocineta : il a donc corrigé ce mot qui était dans les éditions de Pline, et montré qu’il fallait mettre à la place Chirocmeta. Il a corrigé en même temps un passage de Vitruve, où il est parlé du même ouvrage de Démocrite : Multas res attendens, dit Vitruve [1], admiror etiam Democriti de rerum naturâ volumina, et ejus commentarium quod inscribitu χειροκμήτων, in quo utebatur annulo signans cerâ molli quæ esset expertus. On lisait auparavant dans Vitruve, χειροτονητὸν, in quo etiam utebatur annulo signans cerâ ex milio quæ esset expertus. M. de Saumaise corrige par même moyen l’endroit de Diogène Laërce, où il est dit que Démocrite a composé χερνικὰ ῆ ϕυσικὰ προϐλήματα. Il faut dire χειρόκμητα ῆ ϕυσικὰ προϐλήματα [2]. Toute la critique de Casaubon n’était allée qu’à conjecturer qu’on pourrait peut-être guérir le mal de Diogène Laërce par le Chirocineta de Pline [3]. Mais c’eût été chasser un mal par un autre mal. Ceux qui ont cru qu’il fallait laisser dans Pline le mot de Chirocmeta l’ont expliqué selon leur caprice : les uns ont dit que ce titre signifiait que l’ouvrage devait être manié souvent [4]. d’autres ont cru que ce livre fut ainsi intitulé, Pour ce qu’il le fallait manier avec la main en grandes cérémonies [5]. Hesychius confirme merveilleusement les corrections de Saumaise ; car il nous apprend que les critiques mettaient un morceau de cire sur les endroits d’un ouvrage qui leur paraissaient obscurs, et dignes d’être plus amplement examinés. Il reste une puissante objection. Si le Chirocineta de Démocrite était un ouvrage où il avait mis son cachet sur toutes les choses dont il parlait par expérience, d’où vient qu’il était rempli de tant de fables, et de contes ridicules et superstitieux ? Pline ne se contente pas de le caractériser en général par ces paroles : In his Democritus post Pythagoram magorum studiosissimus quanto portentosiora tradit ? Il en cite plusieurs choses qui sentent la magie noire.

Je trouve de l’embarras dans tout ceci, et je ne vois point de meilleur expédient que le non liquet, ou l’ἐπέχω des sceptiques. Il se pourrait faire que Démocrite, sans trop examiner les conséquences de son système, eût espéré de découvrir plusieurs qualités occultes, et l’art de faire mille choses extraordinaires par le moyen de la magie. Cela étant une fois posé, nous pouvons nous figurer qu’il a lu avidement tous les livres de magie, et qu’il a compilé les prétendues merveilles qu’il a vues, et celles qu’il pouvait apprendre de vive voix. Il a pu faire des expériences surprenantes de la vertu de certaines herbes, et marquer de son cachet la page de son Chirocmeta dans laquelle il exposait ses expériences. Ce livre a pu être intitulé de la sorte, quoique la plupart des choses qu’il contenait ne fussent pas approuvées du sceau de l’auteur ; et ainsi rien n’empêche que Pline n’y ait trouvé bien des fables. Voilà un parti à prendre. Ce n’est pas celui qui me paraît le meilleur. J’aimerais mieux dire que Démocrite n’a point composé les écrits superstitieux, fabuleux, magiques, qui ont couru sous son nom. Diogène Laërce ayant donné une longue liste des ouvrages de ce philosophe, ajoute qu’on lui en attribuait faussement d’autres [6]. Columella [7] le reconnaît nommément à l’égard d’un certain livre dont le véritable auteur s’appelait Dolus [8] Mendesius. Il semble que Suidas

  1. Vitruv., lib. IX, cap. III.
  2. Voyez Saumaise, in Exercit. Plinianis, pag. 1100, 1101.
  3. Casaubonus, in Laërt., lib. IX, num. 49.
  4. Nec meliùs interpretantur ita dicta quòd assiduè manibus tractanda essent. Salmasius, Exercitat. Plinian., pag. 1100, C.
  5. Du Pinet, à la marge de sa traduction française de Pline.
  6. Diog. Laërtius, in ejus Vitâ, sub fin.
  7. Colum., de Re rusticâ, lib. VII, cap. V.
  8. Ou plutôt Bolus, selon Suidas.