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Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T05.djvu/503

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DIAGORAS.

portent tous deux ce qui fut dit à Diagoras le jour de cette insigne victoire. Un Lacédémonien l’aborda, pour l’exhorter à ne point perdre une si belle occasion de mourir. Aurait-il fallu lui faire cette remontrance, s’il fût mort effectivement de joie ? N’aurait-il point prévenu le bon mot de ce Lacédémonien, et donné bon ordre que jamais ni Cicéron, ni Plutarque, ni aucun autre moraliste, n’eussent pu citer Diagoras de la manière qu’ils l’ont cité, non pas comme un homme qui était mort de joie sur le faîte de son bonheur, mais comme un homme à qui l’on représenta qu’il ferait bien de mourir dans une telle conjoncture. Cela n’est-il pas convaincant contre le bon Aulu-Gelle ? Je remarquerai que Cicéron et Plutarque rapportent si différemment la pensée du Lacédémonien, que le oui et le non ne sont pas plus différens. Ils ne s’accordent que pour le but général, qui est de prouver que la mort ne doit point être fâcheuse à ceux qui jouissent d’un grand bonheur. Mourez, Diagoras, car présentement vous irez au ciel. Secundis suis rebus voletetiam mori, non enim tam cumulus bonorum jucundus esse potest, quàm molesta decessio. Hanc sententiam significare videtur Laconis illa vox, qui quùm Rhodius Diagoras Olympionices nobilis uno die duos suos filios victores Olympie vidisset, accessit ad senem, et gratulatus, Morere, Diagora, inquit : nunc enim in cœlum ascensurus es. Magna hæc et nimium fortasse Græci putant, vel tum potiùs putabant. Isque qui hoc Diagoræ dixit permagnum existimans patrem quùm duobus filiis treis Olympionicas unâ ex domo prodire, cunctari illum ditiàs in vitâ fortunæ objectum inutile putabat ipsi [1]. Voilà le compliment selon Cicéron, et le voici selon Plutarque, Mourez Diagoras, car vous ne monterez point au ciel. Οὐ γὰρ (ὡς Αἴσωπος ἔϕασκε) χαλεπώτατός ἐςιν ὁ τῶν εὐτυχούντων θάνατος, ἀλλὰ μακαριώτατος, εἰς ἀσϕαλῆ χωραν τὰς εὐπραξίας κατατιθέμενος τῶν ἀγαθῶν, καὶ τύχῃ, μεταϐάλλεσθαι οὐκ ἀπολιπών. διὸ βέλτιον ὁ Λάκων τὸν ὀλυμπιονίκην Διαγόραν, ἐπιδόντα μὲν υἱοὺς ςεϕανουμένους ὀλυμπίασιν, ἐπιδόντα δ᾿ υἱωνοὺς καὶ θυγατριδοὺς, ἀσπασάμενος. Κάτθανε (εἶπε) Διαγόρα· οὐκ εἰς τὸν Ὀλυμπον ἀναϐήσῃ. Non enim (ut Æsopus ait) mors est felicium acerbissima, verùm beatissima : quæ res bonorum virorum lætas securo loco deposuit, et fortunæ declinavit conversionem. Meliùs ergo Lacon ille qui Olympionicen Diagoram, quùm spectâsset filios ille victores Olympiæ, spectâsset etiam nepotes ex filiis et filiabus, salutans, morere, Diagora, inquit : non enim in cœlum ascensurus es [2]. Le raisonnement de ce Lacédémonien est obscur pour moi, je le confesse, de quelque sens qu’on le tourne, ou comme Cicéron, ou comme Plutarque. Je le comprendrais un peu mieux selon le sens de ce dernier ; je m’imaginerais qu’on eût raisonné de cette façon : Vous êtes parvenu au plus haut sommet de gloire où vous puissiez aspirer, car il ne faut pas vous promettre que si vous viviez encore long-temps vous monteriez jusqu’au ciel ; mourez donc, afin de ne courir aucun risque de décadence. J’exhorte ceux qui n’auront rien à faire de plus important, à examiner tout ceci. Volaterran y a fait une innovation [3]. La matière peut devenir féconde en observations subtiles, et même en érudition. Pour moi, je me contenterai de citer le poëte Térence, qui fait dire à l’un de ses personnages :

Nunc est profecto interfici cùm me perpeti possum,
Ne hoc gaudium contaminet vita ægritudine aliquâ [4].

(D) Le temps auquel il vivait se eut trouver dans l’un des auteurs que cite Moréri. ] Ce n’est pas avec précision, mais en général, et voici comment. Doriéus, le troisième fils de Diagoras, fut chassé de Rhodes avec son frère Pisidore. Ils se retirèrent à Thurium dans l’Italie ; et de là vint qu’aux jeux où ils furent couronnés,

  1. Cicero, Tuscul. I, circa fin., fol. 253, D, édit. Basil. 1528. Notez que dans d’autres éditions postérieures on a mis non enim, au lieu de nunc enin.
  2. Plut., in Pelopidâ, pag. 297, A, B.
  3. Diagoras Rhodius cùm se victorem duosque Olympionicas filios vidisset, Nune, ait, tibi, Diagora, moriendum, ne ampliùs Olympiam ascendas ; quod sane præ gaudio accidit : autores Plin., Gell., Volaterran., lib. XV, pag. 539. Pline ne dit rien de cela ; et Aulu-Gelle ne le dit pas de la sorte.
  4. Terent., Eun., act. III. sc. V, vs. 3.