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DRABICIUS.

leurs trois voyans avaient débitée, c’est que l’Orient se joindrait au Septentrion pour faire venir cette terrible journée de l’Éternel[1]. Il avoue aussi fort ingénument qu’il se trompa : il n’aurait pas pu en disconvenir, puisque l’équipée de Ragotski eut le plus mauvais succès du monde. Mais voici d’où Coménius tirait la cause de son erreur : c’est, dit-il[2], que je n’avais pas assez pris garde que, selon les prophéties de Christine Poniatovia, le lion oriental et le lion septentrional ne devaient se joindre que pour s’aboucher ensemble, et que même ils ne s’entendraient pas assez, et se sépareraient sans rien faire. Ajoutez à cela, disait-il, que, selon Drabicius, il ne fallait pas que Ragotski entrât en Pologne sans avoir pris ses mesures avec les Tartares et avec les Turcs, et sans avoir mis bon ordre chez lui. Nous pensions, continue-t-il, qu’il avait fait tout cela avant que de se mettre en campagne, et nous nous trompions sur ce fait. Remarquez bien cela, et voyez-y une preuve de l’obstination de ces messieurs ; ils ne manquent jamais d’échappatoires, il y a toujours quelque clause à quoi l’on n’avait pas fait attention : et ainsi l’on se ménage toujours une porte de derrière, et une ressource pour recommencer à prédire sur nouveaux frais. Si Ragotski avait accompli les conditions que Drabicius lui prescrivait, et que néanmoins son expédition eût été infructueuse, on n’aurait pas laissé de nier que les prophéties eussent trompé ; car Poniatovia n’avait-elle pas prédit que l’orient et le nord s’aboucheraient sans rien faire ? Coménius fut plus fin que l’on ne pense, quand il compila son triolet. On trouve plus de subterfuges dans trois prophètes que dans un. Lisez la note (23).

(G) Drabicius y perdit le plus. ] Je n’ai trouvé personne qui m’ait su dire quelle fut sa fin, et je ne sais ce qu’il faut croire du récit que l’on va lire : je l’ai tiré d’un auteur français[3] : On faisait plusieurs réflexions, dit-il, desquelles je ne crois pas devoir amuser les lecteurs, qui effectivement ne sont pas obligés d’y ajouter foi, non plus qu’à la folle lettre qu’un archifou (dont je veux ignorer le nom et la personne) a adressée à un grand monarque, selon les visions extravagantes de Nicolas Drabicius Bohémien, brûlé comme imposteur et faux prophète, de qui le livre a été porté en toutes les cours des princes de l’Europe, jusque même au grand-visir, par un ministre de Zurich en Suisse ; lequel pour ce sujet a été quatorze ans en prison, pendant lequel temps, pour marque de son extravagance, il laissa croître sa barbe jusqu’a sa ceinture, à ce qu’un gentilhomme très-digne de foi, qui l’a connu, m’a assuré. M. Desmarets avait ouï dire une chose bien différente, c’est que Drabicius, bien loin de baptiser le grand-turc, comme il s’y était attendu, fut contraint de se sauver en Turquie où il mourut. Ad multa particularia processerunt (hi impostores) circa Racocium….. magnum Turcam à Drabicio baptizandum (cùm è contrario feratur ipsum Drubicium ad Turcas transiisse et inter eos obiisse) quorum imposturas et falsitatem oppositus eventus docuit[4].

(H) Coménius…. n’eut à craindre que les reproches du secrétaire de Ragotski. ] Ce prince ayant succédé à son frère Sigismond, fut initié aux mystères de Drabicius : il ne laissa pas connaître s’il y ajoutait foi ou non, mais il ordonna que l’on lui communiquât les visions que Drabicius pourrait avoir désormais[5]. La princesse sa mère fut mise de la partie : Drabicius reçut ordre en vision de nuit d’aller la trouver, pour lui annoncer bénédiction ou malédiction suivant le cas qu’on ferait de ses prophéties[6]. Elles furent données à examiner à Jean Bisterfeld théologien, et conseiller d’état, qui les rejeta[7]. Mais, quoi qu’il en soit, les reproches du secrétaire de Ragotski témoignent que ce prince, à son dam, n’avait pas manqué de foi pour Dra-

  1. Ab insperato principis Trans. cum exercitu in Poloniam adventu, credebamus jam illud impleri quod ab omnibus his videntibus prædictum, ut se Oriens jungat Septentrioni, tremendumque illud opus Dei mox procedat. Ibid., pag. 183.
  2. Idem, ibid.
  3. Rocoles, Vienne deux fois délivrée, p. 381.
  4. Maresius, in Antirrhetico contra J. A. Comenium, pag. 67.
  5. Hist. Revel., pag. 162.
  6. Ibid., pag. 165.
  7. Ibid., pag. 175.