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ÉPICURE.

feint que Léontium écrivit à Lamia les chagrins qu’elle avait à essuyer auprès d’Épicure, vieillard de quatre-vingts ans, et retombé en enfance, couvert de poux, et de si mauvaise humeur qu’il ne faisait que gronder contre sa maîtresse et que l’assassiner de ses soupçons : Οὐδεν δυσαρεςότερον, ὡς ἔοικέν, ἐςι πάλιν μειρακιευομένου πρεσϐύτου· οἷα με Ἐπίκουρος οὗτος διοικεῖ, πάντα λοιδορῶν, πάντα ὑποπτεύων, ἐπιςολὰς ἀδιαλύτους μοι γράϕων· ἐκδιώκων ἐκ τοῦ κήπου μὰ τὴν Ἀϕροδίτην, εἰ Ἄδωνις ἢν, ἤδη, ὁγδοήκοντα γεγονὼς ἔτη· οὐκ ἂν αὐτοῦ ἠνεσχόμην, ϕθειριῶντος, καὶ πολυνοσοῦντος, καὶ καταπεπιλημένου, εὖ μάλα πόκοις, ἀντὶ πίλων, Nihil est, ut mihi videtur, repuerascente sene importunius : Quo sanè modo erga me Epicurus iste se habet, omnia improbans, omnia in suspicionem vertens, litteras ad me ambagiosas scribens ; abacturus sanè ex horto ipsam Venerem, tametsi Adonis foret, natus jam ut est, annorum octoginta. Absit illius amore tenear, qui et scatet pediculis, et planè morbidus est, contractus præ Senio, nec injuriâ vellera gestans pro pileis, etc.[1]. La supposition de cette lettre est évidente, puisque Léontium mourut avant Épicure[2], et qu’Épicure ne vécut qu’un peu plus de soixante et onze ans. Ce qu’il y a de certain, c’est que Métrodore, l’un des principaux amis d’Épicure, couchait avec cette Léontium ; peut-être l’avait-il épousée : au pis aller il la tenait pour sa concubine ; or, dans le paganisme, le concubinage n’était pas fort décrié. Danaë, fille de Léontium, ne fut pas plus chaste que sa mère[3]. Quelques-uns prétendent que Léontium coucha avec un certain Corniade, et qu’il pouvait savoir combien de fois, car il tenait registre de ses débauches ; quand il voulait repasser par sa mémoire ses bonnes fortunes et ses bons jours, il consultait son papier journal : Non ineptè quis intelligat, ce sont les paroles de Gassendi[4], ex hoc contubernio desumptum quod Plutarchus scribit Corniadem quasi ex ephemeride repetere solitum quoties cum Hediâ et Leontio rem habuisset, Thasium bibisset, opipare cœnâsset. D’autres prétendent que Gassendi s’est laissé tromper ici par le traducteur latin de Plutarque, et que le grec porte que les gens modestes et sages n’entretiennent point dans leur esprit les images des plaisirs passés, et ne font pas ce qui exposa Corniade à la moquerie ; ils ne récitent pas comme s’ils lisaient dans leurs tablettes ou dans leur livre de compte, combien de fois ils ont eu affaire avec Hédia ou avec Léontium, etc. Ceux qui sont capables d’entendre le grec que je cite, pourront juger du vrai sens. J’aimerais mieux suivre celui de Gassendi. Οὔτε τοὺς μετρίους καὶ σώϕρονας εἰκὸς ἐνδιατρίϐειν τῇ ἐπινοία τῶν τοιούτων, οὐδὲ ἅπερ ἔσκωπτε τόν Κορνιάδην πράττοντα, οἶον ἐξ ἐϕημερίδων ἀναλέγεσθαι, ποσάκις Ἡδείᾳ καὶ Λεοντίῳ συνῆλθον, ἢ ποῦ Θάσιον ἔπιον, ποίας εἰκάδας ἐδείπνησαν πολυτελέςατα, δεινὴν γὰρ ἐμϕαίνει καὶ θηριώδη περὶ τὰ γινόμενα καὶ προσδοκώμενα τῆς ἡδονῆς ἔργα ταραχὴν καὶ λύσσαν ἡ τοσαύτη πρὸς ἀναμνήσεις βάκχευσις αὐτῆς τῆς ψυχῆς καὶ πρόςηξις. Neque probabile est, modestos ac temperantes homines hujusmodi cogitationibus immorari, aut ea facere, ob quæ Carneadem subsannat ille, tanquam ex ephemeridibus repertentem, quoties cum Hedeiâ aut Leontio rem habuisset, ubi Thasium vinum bibisset, quibus idibus splendidissimè cœnâsset. Atrocem enim ac belluinam in fruendis aut expectandis voluptatibus exagitationem animi ac rabiem designat tanta ipsius ad recordandum bacchatio atque adhæsio[5]. Voyez dans Gassendi, au VIIe. livre de la Vie d’Épicure, une solide réfutation des calomnies que j’ai rapportées. Voyez aussi la remarque (N). Notez qu’au lieu de Κορνιάδην, il me semble qu’il faudrait lire Καρνεάδην dans cet endroit de Plutarqne ; car on sait que l’un des amis d’Épicure se nommait Carnéade. J’ai cité sur ce sujet un passage de Cicéron dans la remarque (M) de l’article Arcésilas, tome II, page 252.

  1. Ex secundo libro Alciphronis, apud Gassend., de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. II.
  2. Metrodore et Léontium, sa concubine, laissèrent un fils, dont Épicure fait mention dans son testament comme un orphelin qu’il recommande. Voyez Gassendi, ibid., cap. VI.
  3. Athenæus, lib. XIII, pag. 593. Voyez l’article Léontium, remarque (D) tome IX.
  4. De Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. I.
  5. Plut. non posse vivi suaviter juxta Epicur., pag. 1089, C, ex versione Xylandri.