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ÉPICURE.

(K) Il y eut un transfuge de sa secte, qui en dit beaucoup de mal. ] Ces gens-là, pour l’ordinaire, médisent furieusement du parti qu’ils quittent. L’envie de se venger de quelque injure, ou de faire accroire que ce n’est point par inconstance qu’ils en sont sortis, les pousse à le décrier ; et quelque suspects qu’ils puissent être, ils ne laissent pas de trouver beaucoup de crédules. Je me souviens d’avoir lu qu’une religieuse, qui sortit de Port-Royal fort mécontente, débita plusieurs petits contes dont les jésuites se prévalurent dans leurs écrits[1]. Mais parlons du transfuge dont il est ici question. Il était frère de Métrodore, et il s’appelait Timocrate. Il publia que l’on faisait des assemblées nocturnes dans le jardin d’Épicure, desquelles il n’avait pu s’échapper qu’avec mille difficultés[2]. Comme il y avait quelques femmes parmi les disciples d’Épicure, je vous laisse à penser quels commentaires on faisait sur ces paroles de Timocrate. On est allé jusqu’à comparer avec le sabbat des sorciers ces conventicules d’Épicure [3] ; et je ne doute point qu’on n’en ait dit la même chose que des assemblées des adamites. Præter comessationes et compotationes possunt ea intelligi quæ in nocturnis bonæ deæ sacris patrari quondam objecta sunt [4]. Outre cela Timocrate faisait passer Épicure pour un goulu et pour un ivrogne, que les excès de la goinfrerie faisaient vomir deux fois chaque jour[5]. Épicure n’épargna pas ce déserteur de sa secte ; il écrivit contre lui, et le traita durement. On voit dans un ouvrage de Cicéron, qu’afin d’insulter ce philosophe, on suppose que ses démêlés avec Timocrate n’étaient fondés que sur une bagatelle. Cùm Epicurus...... Metrodori sodalis sui fratrem Timocratem, quia nescio quid in philosophiâ dissentiret, totis voluminibus conciderit [6]. Il n’y a nulle bonne foi dans cette objection ; et si jamais l’emportement d’un écrivain était excusable, ce serait dans des disputes semblables à celles d’Épicure contre son disciple fugitif.

(L) Un fort savant homme a soutenu, …… qu’Épicure n’a point nié la providence divine. ] Ce savant homme s’appelle M. du Rondel. Il était professeur en éloquence dans l’académie de Sedan, depuis un assez bon nombre d’années, lorsqu’on supprima cette académie, l’an 1681. Il se retira en Hollande, où son mérite lui fit bientôt trouver de l’emploi : on l’appela à Mastricht pour y être professeur aux belles-lettres. Il y exerce cette charge avec beaucoup de réputation. Avant que de quitter sa patrie, il avait donné au public une édition de Musée en grec et en latin, avec des notes[7] ; la Vie d’Épicure, en français [8] ; et une dissertation de Gloriâ [9]. Depuis qu’il est hors de France, il a publié des réflexions sur un chapitre de Théophraste[10], une dissertation sur le Chénix de Pythagore [11], et un traité de Vitâ et Moribus Epicuri[12]. C’est dans ce dernier ouvrage qu’il a entrepris de prouver qu’Épicure n’a point nié la providence de Dieu. Ceux qui voudront connaître le mérite de ses productions [13], et qui ne les auront pas, feront bien de consulter les journalistes qui en ont parlé. Ils y trouveront une partie des éloges qui sont dus à sa profonde érudition et à son esprit pénétrant. Quand il voudra produire les trésors de son cabinet, le public sera convaincu qu’il faudra que les journalistes emploient les ex-

  1. Voyez les lettres intitulées, les Imaginaires et les Visionnaires.
  2. Ἑαυτός τε διηγεῖται μόγις ἐκϕύγειν ἰσχύσαι τὰς νυκτερινὰς ἐκείνας ϕιλοσοϕίας καὶ τὴν μυςικὴν ἐκείνην συαγωγήν. Seque ipsum narrat vix effugere potuisse nocturnas illas philosophandi consuetudines arcanamque illam conventiunculam : Laërt., lib. X, num. 6.
  3. Cur item illud sodalitium comparetur gregi sociorum Ulyssis, ac jam à nostrorum plerisque dictæ Magorum synagogæ, Gassend., de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. I.
  4. Id., ib.
  5. Laërt., lib. X, num. 6.
  6. Cicer., de Naturâ Deorum, lib. I, cap. XXXIII.
  7. À Paris, chez Cramoisi, 1678, in-8°.
  8. À Paris, chez Antoine Cellier, 1679, in-12. On l’a réimprimée en Hollande avec un titre captieux. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, mois de janvier 1686, pag. 86.
  9. Imprimée à Leyde, 1680, in-12.
  10. À Amsterdam, 1685, in-12-
  11. À Amsterdam, 1690, in-12.
  12. À Amsterdam, 1693, in-12.
  13. Je ne prétends pas en avoir donné le liste complète.