Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T06.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
186
ÉPICURE.

fait mention d’Érycius Putéanus parmi ceux qui ont loué Épicure. Le fameux don Francisco de Quévédo, fit imprimer à Madrid une apologie de ce philosophe, l’an 1635. Son livre est intitulé Epicteto Español en versos con consonantes, con el origen de los Estoicos y su defensa contra Plutarcho, y defensa de Epicuro contra la opinion comun[1]. Je n’ai point vu celle que Sarrazin a écrite en notre langue pour la morale d’Épicure. Le sieur Colomiés en fait mention dans la page 125 de sa Bibliothéque choisie. Mais j’ai vu les Réflexions de M. de St.-Évremond sur cette matière[* 1] : elles sont curieuses et de bon goût. On les trouve dans l’édition de ses œuvres, contrefaite en Hollande, l’an 1693, à la fin du IIIe. tome. On les avait imprimées à Amsterdam, l’an 1684, avec trois ou quatre pièces du même auteur. M. le baron des Coutures publia la morale de ce philosophe, avec des réflexions, l’an 1685 : l’édition de Paris fut contrefaite deux fois en Hollande la même année[2]. Ce livre fait voir Épicure par un très-beau côté, et vaut un panégyrique. Il nous produit le chancelier de l’église et de l’université de Paris[3], sur le pied d’un apologiste d’Épicure. La Mothe-le-Vayer [4] et Sorbière[5] ont joué le même rôle ; mais je ne crois point qu’en quelque pays, ou en quelque temps que l’on ait écrit pour ce philosophe, on ait égalé notre Gassendi. Ce qu’il a fait là-dessus est un chef-d’œuvre, le plus beau et le plus judicieux recueil qui se puisse voir, et dont l’ordonnance est la plus nette et la mieux réglée. M. le chevalier Temple, si illustre par ses ambassades et par ses beaux livres, s’est déclaré depuis peu le défenseur d’Épicure, avec une adresse toute particulière [6].

(N) Lui et plusieurs de ses sectateurs avaient une mauvaise doctrine, et vivaient bien. ] Rien n’est plus capable d’éteindre la dévotion dans le cœur de l’homme, et de faire entièrement renoncer au culte de Dieu, que de croire que Dieu ne fait aucun bien ni aucun mal au genre humain, qu’il ne châtie point ceux qui l’offensent, et qu’il ne récompense point ceux qui le servent. Les chrétiens les plus dévots, s’ils veulent être sincères, avoueront que le plus fort lien qui les unit à Dieu, c’est de le regarder sous l’idée de bienfaisant ; c’est de considérer qu’il distribue des récompenses infinies à ceux qui lui obéissent, mais que d’ailleurs il punit éternellement ceux qui l’offensent. Voici un homme qui s’acquittait des devoirs de la religion suivant la coutume de son pays[7], sans aucun motif d’intérêt ; car il faisait profession de croire que les dieux ne distribuaient ni peines ni récompenses [8]. « Il était fort assidu aux temples, et la première fois que Dioclès le vit, il ne put s’empêcher de s’écrier : quelle fête ! quel spectacle pour moi de voir Épicure dans un temple[9] ! tous mes soupçons s’évanouissent, la piété reprend sa place, et je ne vis jamais mieux la grandeur de Jupiter, que depuis que je vois Épicure à genoux. Ὦ πανήγυρις ὀϕθαλμῶν, etc. » J’ajoute à cela ces paroles de Laërce : Τῆς μὲν γὰρ πρὸς Θεοὺς ὁσιότητος, καὶ πρὸς πατρίδα ϕιλίας ἄλεκτος ἡ διάθεσις[10]. Selon quelques-uns elles veulent dire, qu’il eut un attachement ineffable à la piété et à l’amour de la patrie[11] ; mais

  1. * [ Ces réflexions avaient été attribuées mal à propos à M. de Saint-Évremond. Elles sont de Sarrazin, et ont été insérées dans les nouvelles Œuvres de cet auteur, imprimées à Paris en 1674. Voyez la Vie de Saint-Évremond de M. des Maizeaux, pag. 241, édit. de 1726. Add. de l’édit. d’Amst. ]
  1. Nic. Antonio, Bibl. Script. Hisp., tom. I, pag. 354.
  2. Voyez les Nouvelles de la République des Lettres, mois de janvier 1686, art. IX, pag. 86.
  3. M. Cocquelin, dans l’approbation du livre, laquelle contient quatre pages.
  4. Traité de la Vertu des Païens, au tom. V de ses Œuvres, in-12.
  5. Lettre XXXIII, in-4°.
  6. Voyez ses Œuvres mêlées : on les a traduites d’anglais en français, et imprimées à Utrecht, l’an 1694.
  7. On le voyait incessamment aux temples. Il faisait force sacrifices, et force offrandes, etc. Du Rondel, Vie d’Épicure, pag. 29. Voyez toute la suite du passage, et dans l’édition latine, voyez pag. 60.
  8. Là même, pag. 34 de l’édition française.
  9. Voyez une application de ceci dans les Nouvelles de la République des Lettres, mois de déc. 1684, au catalogue des livres nouveaux, num. II.
  10. Laërt., lib. X, num. 10.
  11. Gassendi a traduit, nam sanctitatis quidem in Deos et charitatis in patriam fuit in eo affectus ineffabilis.