Page:Bayle - Dictionnaire historique et critique, 1820, T06.djvu/195

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
ÉPICURE.

pressions les plus remplies de louange, s’ils veulent lui rendre justice. Je m’étendrais davantage sur cette matière, si l’amitié qui est entre nous ne m’avait appris que je ne lui ferais pas plaisir. Voyez la préface du projet de ce Dictionnaire que je lui ai adressée. Au reste, on ne pouvait pas soutenir plus doctement, ni plus finement qu’il a fait, le paradoxe de l’orthodoxie d’Épicure, sur le chapitre de la providence. Il n’a pas oublié de se prévaloir [1] du Vis abdita quædam de Lucrèce. Lorsque M. Minutoly eut su que ce livre de M. du Rondel avait paru, il m’écrivit que dans le recueil de Jean-Michel Brutus il y a une lettre de Pierre Victorius à Jean della Casa, archevêque de Bénévent, qui roule sur la question si Lucrèce qui, dans le commencement de son poème, invoque Vénus, ne pèche pas en cela contre la doctrine d’Épicure, et si cela est compatible avec l’inaction que ce philosophe donnait aux dieux.

(M) Il s’est élevé tant d’illustres défenseurs de sa morale. ] Le savant Gassendi remarque qu’aussitôt que l’on commença de ressusciter les belles lettres au XVe. siècle, il y eut d’habiles gens qui parlèrent pour Épicure opprimé depuis tant de siècles barbares sous un tas de préjugés. Cùm Epicurus infantis fuisset habitus totâ illâ penè sæculorum serie, quâ litteræ bonæ sepultæ jacuerunt ; vix tamen libros humaniores, pulvere excusso, rediisse in manus ante duo ferè sæcula, quàm omnes penè eruditi symbolum pro eo contulerunt[2]. Il nomme Philelphe, Alexander ab Alexandro, Cœlius Rhodiginus, Volaterran et Jean-François Pic[3]. Il observe sur la foi de Jean Trithème que Baptiste Guarinus a fait un livre de la secte d’Épicure. Il ajoute que Marc-Antoine Bonciarius en avait composé un, pour établir qu’Épicure est de tous les anciens philosophes celui qui s’est le plus approché de la vérité [4]. Enfin, outre Palingénius, dont il rapporte plusieurs vers à la louange d’Épicure, il remarque qu’André Arnaud, auteur provençal, a fait une apologie de ce philosophe. Andreas Arnaudus Forcalqueriensis in hâc Provinciâ Prosenescallus, in libello cui nomen Joci, Apologiam pro Epicuro inter cætera edidit, brevem illam quidem, et foliolis paucis ; sed in quâ tamen ea delibantur ex Laërtio præsertim, atque Senecâ, undè convincatur, quòd vir ille pereruditus initio proposuit, fuisse Epicurum injustiùs lacessitum, et laniatum ab obtrectatoribus [5]. Les curieux ne me sauront pas mauvais gré de trouver ici un plus long éclaircissement touchant cette apologie. J’en suis redevable à l’obligeant et très-docte M. Minutoly [6]. Voici ce qu’il m’écrivit au mois de novembre 1963. « Je trouvai l’autre jour un petit livre imprimé à Avignon, intitulé : Andreæ Arnaudi, Joci, Epistolæ, Rara, Epigrammata, Tumuli, Apologiæ, Cette dernière classe de pièces contient les Apologies de Bacchus, d’Épicure, de Phalaris et d’Apulée..... Dans le Recueil des Épîtres, il y en a une de Guirandus Arnaudo, où après lui avoir parlé avantageusement de Ravisius Testor, dont il lui envoyait les dialogues comme une nouveauté, il lui dit : In nono dialogo miraberis Textorem cujus scripta tantam doctrinam testantur, tam malè de Epicuri voluptate testari, nec animadvertisse Epicurum opinione Sardanapalum, re stoïcissimum, Bacchanalia simulâsse, et Curios vixisse. Epigr. 152.

Nam licet illecebris hominem velit esse beatum,
Stoïcus intereà moribus ipse fuit.

Ita Frusius, sed tu fusiùs nuper dicebas et docebas, cùm non sine miratione opinionem quorundam rapiebas ad paradoxum de Baccho, Epicuro, Phalaride et Apuleio. O nostri sæculi felicitudo, si omnes Epicuri essent, nulla hypocrisis ; si Bacchi, nulla Bacchanalia ; si Phalarides, nulla injustitia ; si Apuleii, nulla ineloquentia. »

J’ai oublié de dire que Gassendi a

  1. Pag. 79.
  2. Gassendi, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. VII, pag. m. 224.
  3. Je m’étonne qu’il oublie Laurent Valle.
  4. Voyez les Paroles de Gassendi, t. III, pag. 546 dans l’article Bonciarius, remarque (C), citation (6), où j’ai trouve une faute.
  5. Gassendus, de Vitâ et Moribus Epicuri, lib. VII, cap. VIII, pag. 224.
  6. Pasteur et professeur à Genève.