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ÉPICURE.

τιςα, ϕέρειν δὲ τὰ προσπίπτοντα. Decet autem viros fortes atque moderatos optima quidem optare sed ferre quæcunque incidant[1].

(P) Il fut beaucoup plus célèbre après sa mort que pendant sa vie. ] Sénèque, parlant de plusieurs grands hommes qui n’avaient pas reçu de leur siècle la justice qu’ils méritaient, n’oublie pas Épicure. Quàm multorum profectus, dit-il[2], in notitiam evasêre post ipsos ? quàm multos fama non excepit, sed eruit ? Vides Epicurum, quantopere non tantùm eruditiores, sed hæc quoque imperitorum turba miretur. Hic ignotus ipsis Athenis fuit, circa quas delituerat. Multis itaque jam annis Metrodoro suo superstes, in quâdam epistolâ, cùm amicitiam suam et Metrodori, gratâ commemoratione cecinisset, hoc novissimé adjecit, nihil sibi et Metrodoro inter bona tanta nocuisse, quod ipsos illa nobilis Græcia non ignotos solium habuisset sed penè inauditos. Numquid ergò non posteà, quàm esse desierat, inventus est ? numquid non optio ejus emicuit ? Hoc Metrodorus quoque in quâdam epistolâ confitetur, se et Epicurum non satis eminuisse ; sed post, se et Epicurum, magnum paratumque nomen habituros, apud eos qui voluissent per eadem ire vestigia. Remarquez qu’au temps de Senèque, non-seulement les doctes, mais aussi les ignorans avaient de l’admiration pour Épicure. Un père de l’église va témoigner que Métrodore ne se repaissait pas d’illusions, ou de vaines espérances, en s’imaginant que la secte d’Épicure, son bon ami, ferait plus de bruit dans les siècles à venir, qu’elle n’en faisait pendant leur vie. Lactance déclare que cette secte a toujours été plus florissante que les autres[3].

(Q) Plutarque a eu l’équité de faire voir qu’il n’y avait rien dans... son Festin, qui ne fût digne d’un philosophe. ] On connaît ses préventions contre Épicure, et ainsi l’on est assuré qu’il ne lui fait point de grâce, et que s’il le justifie, c’est parce qu’il trouve qu’on le critique mal à propos. Il commence par dire qu’on le deschiroit comme homme impudent qui avoit importunément mis en avant un propos, qui n’estoit ni beau ni honneste, et encore moins necessaire ; mesmement en un banquet où il y avoit force jeunes gens, d’aller faire mention des œuvres de Vénus, un homme vieil et ancien comme lui, devant de jeunes adolescens, et proposer la question, s’il est meilleur avoir affaire aux femmes devant ou après le souper, cela sembloit procéder d’extrême incontinence[4]. Il dit ensuite que Zopirus le médecin, qui estoit fort versé dans la lecture de ce philosophe, représenta à ces critiques : « Qu’ils n’avoient pas assez diligemment leu le convive d’Épicurus, parce qu’il n’avoit pas pris ceste question à traiter dés le commencement, comme un sujet expressément choisi, pour terminer encore leur devis à ne parler d’autre chose que d’icelui : mais ayant fait lever les jeunes hommes de table, pour se pourmener après le souper, il en commença à discourir pour les induire à continence et temperance, et les retirer des cupiditez dissolues, comme de chose tousjours dangereuse à faire tomber l’homme en quelque inconvenient, mais qui faisoit encore plus de mal à ceux qui en usaient après avoir bien beu et fait grand chere en un festin. Et quand bien, dit-il, il eust pris pour son principal sujet, le discourir de ce poinct-là, est-il impertinent et du tout malseant à un philosophe de traiter et enquerir du temps propre et commode à couscher avec les femmes, ou bien (estant certain qu’il vaut trop mieux en user en temps oportun, et avec raison, qu’autrement) est-il deshoneste d’en deviser en un festin à la table, encore qu’il ne fust pas impertinent d’en disputer ailleurs ? Quant à moi, il me semble au contraire, qu’on pourroit avec raison reprendre et blasmer un philosophe qui disputeroit publiquement de plein jour en son escole, devant toute

  1. Alexander Severus, apud Herodian., lib. VI, cap. III, pag. m. 262.
  2. Seneca, epist. LXXIX, pag. m. 325.
  3. Epicuri disciplina celebrior semper fuit quàm cæterorum. Lactant., divin. Instit., lib. III, cap. XVII.
  4. Plutarque, au IIIe. livre des Propos de table, chap. VI : je me sers de la version d’Amyot.