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FERNEL.

die de madame la dauphine. Ajoutez encore cette raison : la gloire de Jean Fernel aurait reçu un nouvel éclat, de ce que la dame qu’il aurait guérie aurait été la dauphine : pourquoi donc son historien, qui ne cherche qu’à le combler d’honneur et d’éloges, eût-il tu la qualité principale de cette dame ? Voilà pour le premier point : le second est encore plus clair. Catherine de Médicis se portait bien pendant qu’elle était stérile ; elle fatiguait un cheval, elle suivait le roi à la chasse[1], et sa santé ni sa vie ne paraissaient courir aucun risque de ce qu’elle continuerait à ne faire point d’enfans. On ne la guérit donc pas d’une maladie mortelle, quand on lui donna des remèdes contre la stérilité ; ce n’est donc point d’elle qu’il s’agit ici, puisqu’il est question de morbus calamitosus, de mors impendens, de profligata salus, de ex inferorum faucibus revocatio.

Ce n’est pas pour rien que je m’arrête à toutes ces observations : c’est pour en tirer une forte preuve contre ceux qui disent que Fernel guérit la stérilité de la dauphine. C’est un fait qui me semble très-douteux, puisque son disciple bien-aimé n’en dit rien, et qu’il parle d’une autre cure moins importante que ne serait celle-là. Il n’est nullement vraisemblable qu’il ait ignoré un si bel endroit de la vie de Fernel, ou que l’ayant su il l’ait passé sous silence dans l’histoire de ce médecin. Qui aurait su cette aventure si Plantius l’avait ignorée ? Plantius, dis-je, instruit si longtemps aux pieds de ce Gamaliel, et admis à sa plus étroite confidence. Et à qui convenait-il mieux qu’à ce disciple de publier une chose si glorieuse à son bon maître ? Il l’avait oubliée, me dira-t-on, quand il se mit à écrire l’histoire de Jean Fernel. Mais ne s’en serait-il pas ressouvenu quand il se mit à narrer le premier voyage que son maître fit à la cour ? Cette dame, abandonnée des médecins, si chère au dauphin Henri, pouvait-elle lui repasser dans l’esprit, sans exciter les idées d’une dauphine rendue féconde par les remèdes de Fernel ? Credat Judæus apella.

(E) Il se servit...... d’artifices pour obtenir la permission de retourner à Paris. ] L’on ne se rendait pas aux raisons qu’il alléguait, qu’il n’était pas encore assez fort pour mériter qu’on lui confiât la santé des princes ; mais que, si on lui permettait de retourner à Paris, il emploierait avec ardeur tous les moyens qu’il y trouverait de se rendre plus habile, et plus digne de servir M. le dauphin. Quand il vit que ces raisons ne le tiraient pas d’affaire, il feignit d’être malade, et il fit dire à ce prince par un chirurgien qui lui parlait familièrement, qu’il avait une pleurésie que le chagrin rendrait infailliblement mortelle ; et que ce chagrin procédait de ce qu’il se voyait séparé de ses livres, et de ses leçons, et de sa famille, et engagé à une vie tumultueuse. Simulatâ pleuritide et confictâ ementitâque à chirurgo qui principi familiaris erat periculi magnitudine, per eum nuntiari jubet tanti mali causam ab animi ægritudine et mœrore proficisci, quòd à studiis esset abductus etc.[2]. Le prince ajoutant foi à ce mensonge permit à Fernel de se retirer. Ne faut-il pas être bien amoureux de l’étude et de la vie philosophique, quand on emploie tant de machines pour n’être pas médecin de cour, c’est-à-dire, pour n’avoir pas un emploi que d’autres tâchent d’obtenir par toutes sortes de voies ? Lorsqu’Henri II fut sur le trône il renouvela ses instances, mais Fernel représenta que l’honneur qu’on lui offrait était dû par plusieurs raisons, et comme un droit héréditaire, au médecin du feu roi, et qu’il avait besoin d’un certain temps afin de faire des expériences sur plusieurs choses qu’il découvrait dans la médecine. On lui accorda du délai ; mais quand le médecin de François Ier. fut mort, il fallut que Fernel allât occuper sa place auprès de Henri II.

(F) Il travailla sur les remèdes. ] Il avait achevé l’ouvrage des remèdes composés, et il travaillait à celui des remèdes simples, dont il avait découvert plusieurs vertus inconnues aux anciens. Il n’en disait rien à personne ; il voulait que le public sût à qui l’honneur en serait dû ; c’est pourquoi son dessein était de ne s’en ou-

  1. Brantôme, au discours de cette reine.
  2. Plantius, in Vitâ Fernelii.